Droit au but et droit au zut
Le plus surprenant, c’est l’origine des supporters actuels de l’OM. Ils arrivent de partout, même de New York, Singapour et Osaka. Faites une promenade autour du stade les soirs de match. Vous y verrez des voitures immatriculées 62, 38, 07, 10, 05, 44, 28, 92, 75, 43, et naturellement des 13, des 84, des 83 et des 06 : les inamovibles. Mais je suis persuadé que les supporters « estrangers » sont en train de devenir majoritaires, la preuve en est qu’il existe même un club de supporters de l’OM à Vichy !
Il faudra vous y faire amis Marseillais, l’OM aura de plus en plus l’accent pointu. On s’en rend compte lorsqu’on écoute les interviews de supporters venus quémander un autographe ou un selfie à la Commanderie, ce sont des personnes qui viennent du nord de la France.
Les sociologues comme Christian Bromberger évoquent à ce sujet un « processus civilisateur » visant à un contrôle de plus en plus poussé des affrontements violents et des passions partisanes. Le constat est pertinent. Le stade demeure un exutoire idéal de toutes les frustrations. C’est là que se débrident sans chichis les émotions collectives. Je me souviens du match OM-Milan au stade vélodrome au cours duquel Chris Waddle, à demi-KO, a marqué un but d’anthologie d’une frappe à ras de terre qui a soulevé le stade comme un cratère fulminant. Une liesse comparable à celle du match France-Portugal à Marseille lorsque Tigana et Platini ont plié le match en fin de prolongation en enflammant Marseille.
Cette appropriation progressive de l’identité marseillaise par des Français venus des six coins de l’hexagone va plus loin que le simple partage d’un engouement sportif. C’est le signe d’une inversion de centralité. La capitale réelle et populaire de la France, ce n’est plus Paris, c’est Marseille. Tous les Français qui se sentent en panne identitaire viennent à Marseille pour recouvrer un sentiment d’appartenance nationale et de fierté identitaire. Marseille, c’est leur planche de salut national. Leur Graal patriotique. Ils intègrent inconsciemment un refus de Paris, c’est-à -dire une répulsion instinctive pour l’arrogance administrative et jacobine. Paris, c’est le siège de toutes les contraintes bureaucratiques, Marseille c’est celui de toutes les libertés. Avec la mer et la Bonne-Mère en prime.
Un conseil des sages marseillais
Cet enthousiasme délirant que suscite l’OM partout laisse parfois pantois, surtout quand on voit évoluer certains éléments assez dilettantes à l’entraînement ou en match. L’entraîneur pourrait utilement leur coller derrière les mollets des puces « Foot-Bar » qui mesurent désormais en direct l’intensité de leurs efforts, le nombre de kilomètres qu’ils parcourent, leur explosivité, leur ténacité, leur résistance aux efforts répétés. Là , il n’y a plus de planqués. Ceux qui ne se lèvent pas l’âme en match et à l’entraînement peuvent être écartés sans coup férir.
Où êtes-vous glorieux interprètes de la devise « Droit au But » ? Comment les joueurs actuels ont-ils pu sombrer ainsi sur la scène européenne sans se révolter une seconde ? Même Eric Di Méco, excellent commentateur à la télé, a parlé d’absence de dignité et de conscience professionnelle. Aujourd’hui, c’est le « droit au zut » qui semble avoir supplanté le droit au but, avec les boudeurs de banc et les sorties capricieuses de divas de pacotille !
Jacques-Henri Eyraud pourrait utilement s’entourer d’un conseil des sages composé de Marseillais qui ont marqué de leur empreinte la légende de l’OM : je pense à Eric Di Méco, mais aussi à Jean-Pierre Papin, qui s’entraînait deux fois plus que ses camarades, Bernard Casoni, Josip Skoblar, Manuel Amoros, Jean-Christophe Marquet et Christophe Galtier, le Marseillais qui s’est exilé à St Etienne et Lille pour y réussir brillamment. Le président pourrait aussi collaborer avec des dirigeants marseillais qui ont réussi chacun dans leur domaine, par exemple Paul Leccia, Rodolphe Saadé, Raymond Vidil, Jean Martin-Dondoz, Francis Papazian, Jean-Baptiste Jaussaud, Philippe Veran et bien d’autres encore…
Renouer avec l’âme de Marseille, c’est former un groupe de joueurs ayant un mental d’acier, une volonté farouche de gagner, fût-ce en s’arrachant les « cojones » et en broutant l’herbe, comme jadis Novi, Gress, Bonnel, Couecou, Bosquier, Brotons, Kula, Leclercq ou Hatchi. C’est aussi instaurer un nouveau mode de rémunération qui nous épargnerait les salaires de mercenaires versés à des joueurs qui font banquette et sont royalement payés comme Mitroglou ou Strootman. On peut imaginer des salaires modulables en fonction des affluences ou assortis de primes substantielles en cas de victoire seulement. On peut imaginer des consultations populaires des abonnés sur Internet pour qu’ils aient eux aussi voix au chapitre. L’époque des quêteurs d’aubaines financières est révolue. Place aux Marseillais natifs de Marseille.
Comme le dit l’irréductible Jurgen Klopp, entraîneur de Liverpool, qui injecte son énergie vitale à chacun de ses joueurs : « pour réussir dans le football, c’est simple, on vous donne un citron et il faut le transformer en limonade ! » C’est seulement à ce prix que les Olympiens marseillais sauront qu’ils ne marcheront plus jamais seuls !
José D’Arrigo
Rédacteur en Chef du « Méridional »
En couverture : Photo Alain Sauvan – Collection photo souvenir d’un classico