National – Une loi sur le pouvoir d’achat ? Trop peu, trop tard, trop tordu

© Pxb

Quelle idée généreuse de la part de nos gouvernants que de vouloir défendre le pouvoir d’achat des Français ! Personne n’osera être contre. On va jouer sur du velours pour mieux amadouer les oppositions et les convaincre « sobrement » à la théorie de la résistance à fleurets mouchetés. Pourtant, les mesures envisagées représentent trop peu, trop tard.

La hausse des prix aurait été de l’ordre de 6% depuis un an. Autant dire que les consommateurs ont « perdu » 6% de leur pouvoir d’achat puisqu’ils paient 6% plus cher la même consommation. La consommation (valeur 2021) était de 1 720 milliards d’euros d’après les Comptes Nationaux publiés par l’INSEE (n°1904, mai 2022) et 6% de 1 720 égalent 103 milliards. C’est cette somme qu’il faudrait « donner » pour compenser la perte de pouvoir d’achat subie en moyenne par les consommateurs français. C’est bien plus que les 20 ou 30 milliards proposés dans la Loi sur le pouvoir d’achat !

une hausse des prix de 6% depuis un an

Laissons de côté les oppositions farceuses qui proposent des mesures – le terme « démesures » conviendrait mieux – pouvant coûter jusqu’à 150 milliards. En revanche, ce chiffre de 103 milliards est très proche du montant estimé des fraudes fiscales et sociales relevées par le magistrat spécialisé Charles Prats. En rendant aux Français ce qui leur est volé chaque année, nous redonnerions vraiment du pouvoir d’achat. C’est donc clair : la loi qui est proposée est loin du compte.

Trop tard ?

L’inflation, qui est bien réelle même si le taux exact n’est pas évident à calculer, provient d’abord de l’inondation monétaire poliment appelée « quantitative easing ». Reprenons l’image de  « la planche à billets » qui est parlante. Les Etats déficitaires, en particulier l’Etat français, s’endettaient à des taux de plus en plus bas grâce à l’abondance de monnaie produite par les banques centrales, certaines même rachetant ainsi les dettes des Etats.

l’abondance de monnaie produite par les banques centrales

Les Etats, et surtout le nôtre en France, sont déficitaires et donc s’endettent de plus en plus. On évoque le chiffre de 60% du PIB comme limite et elle est joyeusement dépassée en France puisque nous sommes autour de 110%.

Contrairement à plusieurs de nos voisins qui se sont redressés, nous continuons fièrement en France les déficits et l’endettement. Comme nous avions déjà dépassé les limites au moment où les taux d’intérêt remontent, il est même des politiciens pour s’en inquiéter, et la Cour des Comptes tire encore une fois la sonnette d’alarme.

Or, qui propose de « donner du pouvoir d’achat » en distribuant des chèques énergie, carburant, produits alimentaires, sans compter les aides au logement, les revalorisations de retraites et de salaires ? Il s’agit évidemment de l’Etat et de ses satellites, qui  engagent des sommes qui seront payées par le contribuable un jour ou l’autre.

la cour des comptes tire la sonnette d’alarme

Cela se produit quand il est bien trop tard. Si l’Etat avait redressé ses finances, comme il s’y était engagé depuis plusieurs années, il serait peut-être encore envisageable qu’il distribue de l’argent pour aider les victimes de l’inflation. Mais désormais, il n’y a plus de marge de manœuvre.

On a pris les choses « à l’envers »

On pris les choses « à l’envers », comme souvent en économie. L’inflation n’est pas surgie du néant dans un paysage économique merveilleux. L’inflation a des causes simples mais profondes : « Trop de monnaie chassant après trop peu de biens ». Outre l’inondation monétaire arrivant au mauvais moment, on ne produit pas assez, pas assez efficacement ni à des prix compétitifs, du moins en France.

l’inflation a des causes simples mais profondes

Alors on importe, et nous connaissons un bien lourd déficit commercial avec l’étranger (ce sujet mérite une analyse à part entière). L’inflation accroît l’incertitude car elle n’est pas constante, et toutes les décisions sont plus difficiles à prendre, surtout si elles engagent le long terme comme les investissements et les embauches. L’économie française traîne d’autres boulets bien connus et dont le poids est de plus en plus insupportable.

Ils sont connus, nommés, localisés mais non éliminés. Il y a bien longtemps, en 2007,  une certaine commission Attali, dont le rapporteur adjoint est devenu Président de la République française pour un second mandat, dressait une liste de « 300 décisions pour changer la France ». C’est loin d’être une Bible, mais un peu amèrement, nous avons rouvert l’ouvrage. Retenons-en l’esprit davantage que le détail.

la france est écrasée par le poids de la dépense publique

Notre pays est écrasé par le poids de la dépense publique et l’inefficacité de l’administration entraînant une fiscalité très lourde elle aussi ; la concurrence n’est pas suffisante pour faire apparaître des générations d’entrepreneurs créateurs de richesses. D’ailleurs, ces entrepreneurs surgissent d’autant moins que la formation donnée par le système éducatif est d’une inefficacité reconnue. Les entrepreneurs rescapés sont découragés d’embaucher par la complexité du droit du travail, jamais réformé et un système fiscal spoliateur, le tout dans un contexte lourdement bureaucratique. Il reste, selon la Commission  Attali – défense de rire, chers lecteurs – à « favoriser l’installation d’étrangers hautement qualifiés » (page 260). J’avoue ne pas reconnaître cela dans la politique d’immigration actuelle…

Pour terminer, complétons par des éléments non mentionnés comme l’esprit violemment anti-entreprise et anti-réussite culminant en haine sociale permanente, qui pollue la culture française d’aujourd’hui alors que les ingénieurs français faisaient l’admiration du monde « d’avant ».

un système qui ne s’est pas réformé

La lutte contre l’inflation, et donc la défense du pouvoir d’achat, aurait été plus facile dans une France réformée comme certains pays voisins, et comme nous le recommandaient les assez sages participants de la Commission Attali qui rejoignent en partie les défenseurs de la liberté économique.

La promesse du président qui avait créé la Commission Attali apparaît d’une sinistre ironie… « Ce que vous proposez, nous le ferons ».

Pierre DUSSOL

© DR

Pierre Dussol est professeur d’économie honoraire à Aix-Marseille-Université. Il a compris depuis belle lurette les méfaits de la torsion des mots sur la désorientation et le vide des esprits. En véritable « redresseur de tors », il a décidé de reprendre les définitions de base qui permettent de mieux décrypter les habillages et autres artifices du politiquement correct. Il livre son point de vue savoureux dans les colonnes du Méridional.