International – L’église catholique du Vietnam au service des peuples des Montagnes

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Le Vietnam, pays de la péninsule indochinoise, est riche d’une cinquantaine d’ethnies différentes. Juchés sur les Hauts Plateaux, les Montagnards en représentent trois cinquième. L’église catholique y est très active. Elle apporte son aide pour la santé et l’éducation.

Au centre du Vietnam, la mission catholique de la région de Kontum a été fondée par les missionnaires français en 1850. Ce sont les premiers à avoir pu s’installer dans la région des Hauts Plateaux, jugée impénétrable tant la jungle y est dense, humide et le relief escarpé. Pourtant, depuis des siècles, cette région montagneuse abrite dans sa forêt et dans ses brumes le peuple autochtone du Vietnam : les Montagnards. Ils sont une trentaine d’ethnies distinctes dont les Bahnar, majoritairement chrétiens. Le teint mat, les cheveux de geai et les yeux noirs cernés de velours, les Bahnar ont traversé les multiples guerres sans se faire engloutir par le tourbillon de l’histoire.

Une foi simple, traditionnelle et communautaire

« Les relations entre le gouvernement vietnamien et les minorités ethniques s’améliorent au fil du temps », explique le père Pierre Tis, prêtre bahnar originaire de la région de Kontum. A la réunification entre le Nord et le Sud en 1975, le Vietnam passe sous régime communiste. Le nouveau gouvernement souhaite avoir un contrôle sur les religions et les minorités ethniques. Les Bahnar restent fidèles à la pratique de la foi et les églises sont pleines à chaque office.

les bahnar restent fidèles à la pratique de la foi

« Les Bahnar sont un peuple pacifique qui ne donne pas de sens politique à leur foi. Ils la vivent de manière très simple, traditionnelle et communautaire, souligne le père Tis. Les Montagnards sont très pratiquants, au-delà de 90%. » Hommes et femmes arborent chaque dimanche leur tenue traditionnelle : de longues étoffes de coton noir sur lesquelles sont cousues des pièces chatoyantes en tissage bahnar. « Les Bahnar représentent une petite minorité au sein des cinquante-quatre autres qui peuplent le pays. Nos traditions sont différentes ; mais nous avons nos qualités propres dont nous devons être fiers », précise le père Tis.

Au sein de la province de Kontum, l’Eglise tient une place importante dans la vie des Montagnards. Elle a toujours œuvré en faveur de l’intégration des ethnies des Hauts Plateaux sans qu’elles perdent leurs spécificités. Un défi majeur pour les Montagnards, dont le monde traditionnel se confronte au monde moderne…

les peuples des hauts plateaux sont agriculteurs et eleveurs

Les peuples des Hauts Plateaux sont majoritairement agriculteurs et éleveurs. Leur mode de vie, au cœur de la jungle, des champs de café, de poivre et des rizières semble hors du temps. Depuis la Seconde Guerre mondiale et la réunification en 1975, ils ont subi de nombreux changements et mutations profondes au point d’être aujourd’hui au carrefour de leur histoire. Plusieurs vagues de migration des Kinh, l’ethnie majoritaire appelée aussi « les Vietnamiens des plaines » vers la région, ont dépossédé les Bahnar de leurs terres dont l’attribution était régie par le droit coutumier. Par ailleurs, le sol est très pauvre et pollué à cause de la guerre.

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La région n’offre pas suffisamment de terres et la récolte de riz est peu abondante. Tous ces éléments entraînent un exode rural des jeunes Montagnards en quête d’un travail. « Quand on est Montagnard, c’est plus facile de se fondre dans la masse à Ho Chi Minh », confie un jeune bahnar originaire de Kontum devenu professeur d’anglais. L’accès à l’éducation et aux études supérieures est un combat. En cause, la pauvreté et le manque d’instruction des parents. La drogue, l’alcool et les mariages précoces deviennent les refuges d’une jeunesse pauvre et désœuvrée.

L’éducation, clef de l’intégration

Sœur D. s’engage de son petit pas vif à travers les minces allées bétonnées d’un village près de Kontum. C’est bientôt l’heure de la sortie d’école. Dans quelques instants, une centaine d’enfants va déferler joyeusement. La religieuse doit se dépêcher. Sur 150 enfants de l’école primaire, 80 sont pensionnaires chez les Filles de la Charité. Sœur D. doit les guider vers la grande salle pour la sieste. Depuis 1938, la Congrégation des Filles de la Charité vit au service des plus pauvres en terres bahnar. « Nous avions remarqué que le niveau des élèves bahnar n’était pas très élevé. C’est pourquoi nous avons construit cette école primaire », explique Sœur M., la doyenne des onze religieuses.

un combat pour l’accès à l’éducation

Son visage rayonnant et ses yeux en amandes dégagent une profonde douceur. Les soixante années de vie religieuse ont creusé de sages et profonds sillons sur son visage. Sœur M. est arrivée dans la province de Kontum en 1970. D’ethnie Kinh, elle devait s’occuper des malades de la lèpre de la région. « A l’époque, les enfants bahnar et kinh étaient séparés à l’école », se souvient Sœur M. Si les ethnies sont mélangées dorénavant, les Bahnar ont peu accès à l’éducation et au marché de l’emploi.

La première barrière est celle de la langue : « A la maison, les enfants ne parlent que bahnar alors que l’enseignement se fait en vietnamien dès la maternelle. Pendant les vacances scolaires, ils oublient la langue officielle et accusent un important retard. Les parents ne parlent pas vietnamien et sont peu instruits. La plupart n’ont pas d’emploi stable. Ils travaillent comme saisonniers dans les champs de poivre et de café », explique sœur D. Nous aidons principalement les enfants d’agriculteurs. » La pauvreté fait son lit sur l’ignorance et touche de plein fouet les villages isolés sur les hauteurs, sans route et sans assainissement.

la première barrière est celle de la langue

Dans le petit village, des maisons de briques se mêlent aux maisons en tôle. La jungle reprend ses droits et semble engloutir les habitations les plus modestes. Sur les pas de porte, des femmes discutent entre elles, assises sur leurs talons. A l’intérieur, les maisons semblent vides. Un unique plafonnier, deux ou trois chaises, un lit… Seul un petit autel pour la Sainte Vierge, riche de chapelets de bois et d’icônes en plastique colorés, occupe le coin de la pièce centrale. « Dans les environs, il y a des familles entières qui n’ont pas de toit », déplore sœur D. Certaines sont tellement pauvres qu’elles mangent uniquement des bouillies de feuilles de manioc et de papaye pour accompagner leur riz. »

Face à ces conditions de vie difficiles, les enfants ne peuvent pas travailler sereinement à la maison. « Le décrochage scolaire intervient en sixième en moyenne », témoigne un professeur bahnar à la retraite sous couvert de l’anonymat. Les enfants montagnards ne savent pas tenir un crayon à leur entrée au CP. » L’Eglise ne baisse pas les bras et tente d’accompagner ces jeunes pour qu’ils donnent le meilleur d’eux-mêmes. Les prêtres du diocèse organisent des réunions et des temps de partage pour les adolescents tombés dans la drogue tandis que les Filles de la Charité ont ouvert un pensionnat dans la petite école. « Ils dorment dans leur famille deux fois par mois », explique sœur D. qui aimerait accueillir plus d’enfants.

les religieuses sont très actives dans la région

Les religieuses sont très actives dans la région. Chaque semaine, elles distribuent des soupes, parfois de la viande, dans douze villages des Hauts Plateaux. « Avec nos maigres moyens, nous essayons de lutter contre la malnutrition et pour l’éducation des Bahnar », souffle sœur M. avec un doux sourire.

L’atmosphère se charge d’humidité. Bientôt le ciel gris va décharger sur les cultures sa lourde cargaison de pluie. Les enfants sont rentrés chez eux et la jungle absorbe leurs derniers rires. A l’image des premiers peuples du Vietnam, l’éternité s’écrit dans la brume des Hauts Plateaux.

Marie-Charlotte NOULENS

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Marie-Charlotte Noulens est journaliste depuis cinq ans. Elle est passée par la presse locale en Normandie avant de travailler à Bangkok pour « Asie Reportages ». Elle a rejoint ensuite le magazine « Aider les autres à Vivre », pour lequel elle écrit sur des sujets de société, principalement dans des zones touchées par la guerre ou encore, autour de la précarité en Afrique, au Moyen Orient et en Asie du Sud-Est. Elle se déplace à l’étranger et livre dans les colonnes du Méridional ses analyses sur l’actualité internationale.