L’interview de la semaine – Emma Clair-Dumont : « Gravir l’Everest, c’est passer dans un monde de survie »

© Coll. Emma C-D

32 jours d’expédition France-Népal au total, 5 jours de terrain aller-retour pour l’ascension et la descente du mont Everest. Dans la nuit du 11 au 12 mai, Emma Clair-Dumont devient la 13ème femme française à atteindre le « toit du monde ». La sportive de la Région Sud évoque son extraordinaire expédition.

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Le Méridional : Emma Clair-Dumont, depuis combien de temps projetez-vous de gravir « le toit du monde » ?

Emma Clair-Dumont : Ce sommet, j’y pense depuis maintenant une dizaine d’années, comme une sorte de rêve – il est rare qu’on puisse concrétiser ses rêves. Comme vous le savez, j’avais déjà réalisé différents défis sportifs, qui m’ont aguerrie et m’ont rapprochée de ce rêve. Il y a trois ans, je suis partie pour le Népal pour prendre la mesure de ces « monstres » de 8 000 mètres. A partir de ce moment-là, j’ai commencé à me préparer et à préparer mes proches.

prendre la mesure de ces « monstres » de 8 000 mètres

Depuis septembre de l’année dernière, mon entraînement physique s’est intensifié. Je me suis préparée à la Clinique du sport de Marseille en hypoxie et en cryothérapie, pour créer des souvenirs à mon corps sur le froid, la fatigue, le manque d’oxygène.

L.M : Avez-vous connu des moments de grande souffrance, un peu à la façon de l’aviateur Guillaumet perdu dans les montagnes (« Ce que j’ai fait, aucune bête ne l’aurait fait ») ?

E. C-D : Sur la toute dernière partie, quand vous êtes au camp 4, qu’il est 21 heures et que vous savez que vous avez 12, 13, 14 heures de montée… Vous avez ensuite cette sensation de geler… Pour vous donner une idée, j’avançais de seulement 100 mètres par heure. On est dans un autre monde, un monde de survie. On écoute une seule chose : sa respiration. Tout le reste du corps se met en veille.

© Coll. Emma C-D

Tout cela est évidemment doublé de difficultés techniques : des murs de glace, des paliers à passer, de l’escalade… au-delà de 8 000 mètres : on est au cœur de cette « zone de la mort ».

L.M : Comment se sont passées votre approche du sommet et votre arrivée ?

E. C-D : Tout le monde sait qu’il faut rester très prudent au sommet – ne pas enlever son masque, ses lunettes… – pour éviter « l’euphorie des cimes » et ne plus avoir la force (ou l’envie…) de redescendre. J’ai dû rester une quinzaine de minutes tout là-haut, même si je n’avais pas du tout de notion temporelle ! On a un panorama incroyable, et surtout, on pense : « Je suis au plus haut de la planète ». Une sensation extraordinaire.

Eviter « l’euphorie des cimes »

L.M : A quel moment avez-vous eu peur ?

E. C-D : Au sommet, après avoir goûté à cette sensation dont je vous parlais. J’ai connu non pas l’angoisse, mais la peur. Car on sait que la descente est le moment où il y a le plus d’accidents et de morts. Aussi parce qu’en montant, j’avais vu des morts et des gens mourir. Il faut du courage pour redescendre. Je sais que je suis montée pour moi, mais que je suis redescendue pour mes proches. Il faut avoir quelque chose « sur terre » qui nous rappelle… autrement, on peut comprendre les personnes qui sont tentées de rester là-haut.

© Coll. Emma C-D

L.M : Qu’est-ce que vous retenez de plus fort de votre expérience, en quelques mots ?

E. C-D : L’isolement. Je n’avais jamais eu une telle proximité avec la mort dans mes précédents défis. L’importance de la volonté sans faille. Et l’importance de la sérénité.

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L.M : Un détail qui vous a marqué ?

E. C-D : Cette année, 300 permis ont été délivrés (en comptant ceux des guides). Sur 150 « clients », j’étais très heureuse de voir qu’il y avait beaucoup de femmes ! Et ce sont souvent les plus déterminées. Pour vous dire que ce genre d’aventure n’est pas seulement une question de physique, mais de détermination.

L’importance de la volonté sans faille

L.M : En quoi est-il important pour vous de témoigner de votre expérience, notamment dans les écoles, auprès des jeunes ?

E. C-D : Ce que je veux partager, c’est le fait d’avoir un rêve, et de le concrétiser même s’il paraît inatteignable. Moi-même, je ne suis pas alpiniste professionnelle. Tout le monde peut accomplir son rêve, s’il est encouragé.

Propos recueillis par Jeanne RIVIERE

Campagne Souveraineté locale