Législatives 2022 – Reconquête 13 : autopsie d’un effondrement

Eric Zemmour et Stéphane Ravier à Marseille, dans la cathédrale de la Major © DR

« On ne change pas une équipe qui gagne ». Eric Zemmour aurait dû se souvenir de cet adage répandu dans le monde du football avant de bouleverser l’organigramme de son parti dans les Bouches-du-Rhône. Pour complaire à Marion Maréchal dont il sollicitait avec insistance le ralliement, Zemmour a accepté l’éviction de la référente départementale Jeanne Marti qui avait pourtant réalisé un travail remarquable pour l’essor de Reconquête. Il a choisi d’installer le sénateur Stéphane Ravier et son lieutenant Antoine Baudino, transfuges du RN, à la tête du mouvement au grand dam des pionniers de Reconquête qui n’étaient pas d’accord avec ce chamboulement arbitraire. Voici l’histoire de cette implosion en vol.

La vérité, c’est que Zemmour n’a pas eu le choix. Stéphane Ravier est un proche de Marion Maréchal, il a été invité à son mariage, sa compagne connait Sarah Knafo, l’égérie de Zemmour, bref c’est cette proximité avec Marion Maréchal qui a entraîné la disgrâce du sénateur auprès de Marine Le Pen, laquelle l’a peu à peu mis sur la touche et écarté des instances nationales du RN. Le ralliement de Marion passait donc par celui de Stéphane. C’est ce qui s’est produit. L’hameçonnage de Ravier et de ses amis, c’est-à-dire d’une fraction dissidente du RN marseillais, a fait partie du deal conclu avec Marion Maréchal pour obtenir son adhésion à Reconquête.

Ce petit jeu de chaises musicales, fort sympathique au regard des affinités ou des amitiés des uns et des autres, est une bourde politique sans nom. Les Zemmouristes de la première heure, ceux qui construisaient depuis des mois à la force du poignet une union des droites susceptible de montrer l’exemple à toute la France par sa pondération partisane, ont en effet été désavoués sans mobile apparent alors qu’ils étaient, eux, les garants d’un bon score de leur champion dans les Bouches-du-Rhône. Résultat : un bon tiers des membres du bureau départemental de Reconquête 13 ont aussitôt démissionné de leurs fonctions et ont été remplacés par des amis de MM. Ravier et Baudino, issus du RN dissident.

Clap de fin ? Fermez le ban ? Pas du tout. Les Zemmouristes évincés de leur propre camp sont restés zemmouristes  et forment à présent une sorte de « shadow-party », c’est-à-dire un mouvement de l’ombre prêt à revenir aux manettes lorsque l’écrivain à succès aura enfin compris que le duo Ravier-Baudino était à l’affût d’une structure politique accueillante pour y implanter leur propre mouvement local intitulé « Marseille d’abord » en vue des prochaines élections municipales. D’ailleurs, lorsque Gilbert Collard est venu à Marseille fin février pour y animer un meeting commun avec Stéphane Ravier, il a été surpris de constater que le discours du sénateur portait sur « Marseille d’abord » alors que le propos de l’ancien avocat était : « Zemmour d’abord ».

« Je ne suis pas amère, ni déçue, avoue Jeanne Marti, la conseillère municipale marseillaise victime de ce « débarquement » inapproprié. Je suis moi aussi une ancienne du Rassemblement National et j’ai vécu un vrai cauchemar lors des deux dernières élections que Ravier a menées à Marseille. J’ai déjà l’expérience des méthodes brutales de gouvernance de ce duo et il n’est pas question que ça recommence… » Forte du mouvement de solidarité qui s’est soudé autour d’elle, Jeanne Marti est comme la France : elle n’a pas dit son dernier mot. « On est forcément à la ramasse pour les législatives de juin parce que l’électorat de la famille nationale est divisé et que la droite ne peut qu’être laminée », regrette-t-elle.

Grégoire Tingaud, chargé à Paris du « maillage territorial » de Reconquête, n’a pas vraiment saisi l’ampleur du séisme marseillais : « Il s’agit d’un simple remaniement, une évolution de la gouvernance liée à la prise en compte de nouveaux équilibres politiques issus du ralliement de M. Ravier. Il ne s’agit en aucun cas d’un désaveu de l’équipe en place », nous a-t-il confié en tentant maladroitement d’atténuer le malaise.

L’ennui, c’est que des erreurs identiques ont été commises dans le Var et les Alpes-Maritimes : « Notre coordinateur départemental de Reconquête dans le Var a passé son temps à discriminer, à disqualifier et à exclure de nombreux varois qui ne demandaient qu’à se rendre utiles au service d’Eric Zemmour, confirme Yann Bizien, ancien porte-parole du ministre des Armées et militant de Reconquête à Cuers. Pour avoir signalé à Paris ces dysfonctionnements, j’ai été moi-même écarté de la campagne et il ne s’est quasiment rien passé à Cuers et dans plusieurs communes du Var où le potentiel électoral de Zemmour était pourtant énorme… »

Dans les Alpes-de-Haute-Provence, Stéphane Durbec, conseiller municipal de Céreste, ex-conseiller régional du FN à Marseille, passé ensuite aux LR, nourrissait l’ambition légitime d’être investi par Reconquête dans la 2ème circonscription pour faire face à Christophe Castaner, l’ancien ministre de l’Intérieur, mais il a lui aussi été blacklisté avec un dédain incompréhensible. Durbec s’est en effet démené comme un beau diable, il a parcouru 28 000 km, il a sillonné douze départements pour recueillir au total 28 parrainages de maires en faveur de Zemmour dans la Région Sud, en Corse, en Bourgogne et en Franche-Comté. Il fait partie des meilleurs ambassadeurs de Zemmour et il n’a pas hésité à prendre contact personnellement avec 358 maires.

Son profil incarnait à lui seul toutes les composantes de la droite. Honneur, fidélité, vaillance. Eh bien, il a été évincé comme un malpropre sans l’ombre d’une explication. « Reconquête ne doit pas être un simple tremplin pour les ambitions personnelles des recalés de Marine Le Pen, fait-il observer, il ne doit pas non plus se transformer en RN-bis ou en ersatz national de remplacement. On ne peut pas prétendre défendre les valeurs du patriotisme en humiliant ceux qui les portent avec fierté depuis trente cinq ans en prenant tous les risques… » « Pour moi, conclut ce militant acharné, Reconquête, c’est un parti mort-né. »

Bigre ! Les errements des instances parisiennes sont légion. Les échos teintés d’amertume ou de désillusion abondent. Stéphane Berton, ancien de DLF, pionnier de Reconquête à Salon-de-Provence, n’a pas digéré lui non plus l’irruption d’un nouvel attelage tonitruant à la tête du mouvement : « Je ne retrouve plus du tout l’idéal qui a été le nôtre, celui d’une union des amoureux de la France, d’où qu’ils viennent, les nouveaux dirigeants me semblent dénués de toute sensibilité et de toute humanité. Je crains que cette OPA d’une partie du RN sur Reconquête ne soit ressenti de plus en plus par nos militants qui commencent à décrocher. »

« On a bien vu la campagne bifurquer, confirme Jeanne Marti, les sondages ont illustré ce repli. Les instances parisiennes ont commis des erreurs qui ont entamé le capital-confiance de Zemmour et l’on a senti déraper notre fort potentiel initial. Avec la guerre en Ukraine, le parti est devenu inaudible, la campagne a manqué de souffle et personne n’a su rectifier le tir. » Patrick Isnard, responsable régional de Reconquête dans le Sud a lui-même été écartelé à hue et à dia par les zizanies ou les dissensions internes. « Zemmour a fait une excellente campagne, estime-t-il, mais il a été victime du vote utile. Je pense que 30 à 35 % des gens qui étaient prêts à voter Zemmour se sont reportés in extremis sur Marine Le Pen pour barrer la route à Mélenchon. Certains de nos cadres ont aussi négligé le travail de terrain en faisant confiance à des hommes dénués d’empathie et de charisme et qui n’ont pas respecté le dévouement des militants. »

Ainsi s’est insinuée dans les mailles de Reconquête la brise funeste du désenchantement. Pour Michel Gateau, militant de Reconquête dans le nord des Bouches-du-Rhône, la dégringolade a été très progressive : « Zemmour a été flingué par la presse comme un malfaiteur de bas étage et cet ostracisme a fini par inspirer une peur glaciale aux électeurs, analyse-t-il. En juillet dernier, je soutenais déjà la candidature éventuelle de cet homme au parler franc, aux idées souverainistes et patriotes dont le seul but était la grandeur de la France. Enfin un homme qui osait se lever pour réveiller les citoyens assoupis et fatalistes et les haranguait pour attiser leur flamme patriotique. »

« L’enthousiasme de ses meetings était communicatif. Sur les marchés on distribuait des tracts et les gens les prenaient volontiers. Mais on ne bouscule pas le grand méchant loup sans prendre en retour de méchants coups de crocs : le système politico-médiatique s’est ligué contre lui et il a été abattu en plein vol. Sur les marchés, les Français se sont faits moins pressants pour venir à notre rencontre, l’enthousiasme s’est émoussé, ne restait qu’un regard bienveillant qui semblait dire : « on croit en vous, mais… « »

Même constat désenchanté de la part de Me Guy Jullien, ancien cadre du RPR à Marseille, qui s’est décarcassé en vain pour Zemmour : « Le problème, juge-t-il, c’est qu’il a voulu prendre une place déjà occupée sur l’échiquier politique. Pour lui la stratégie était claire, c’était : « Lève-toi de là que je m’y mette ». Mais son coup d’Etat a échoué. Il a perdu définitivement lorsque les sondages ont révélé que l’électorat de Marine Le Pen restait stable. Il n’avait qu’un fusil à un coup : il est foutu. »

Philippe Milliau, président de « TV-Libertés », a été lui aussi un pionnier du zemmourisme à Marseille avant d’être nommé en région Bretagne : il a constaté des erreurs de parcours relatifs au manque d’ossature du mouvement et à l’absence d’un véritable secrétaire général car « le triumvirat ça ne marche pas ». Pour Zemmour, comme pour beaucoup d’autres tribuns avant lui, la roche tarpéienne n’est pas loin du Capitole. Peut-être a-t-il surestimé l’impact réel des convictions et du patriotisme dans notre société contemporaine guidée souvent par l’émotion, le zapping et le panurgisme ?

Il a pris conscience en tout cas d’une réalité injuste et cruelle : c’est le pouvoir en place qui dicte le bien et le mal. Résultat : les électeurs sont déboussolés et ne croient plus en rien. Ils se sont conformés en 2017 aux impressions que la propagande télévisuelle leur dictait de façon subliminale, ils ont recommencé en 2022, ils recommenceront en 2027. Le temps est venu des ectoplasmes politiques et des emplâtres sur des jambes de bois. Telle est désormais la loi d’un système friand de sensations, mais aussi de « simples remaniements » et « de nouveaux équilibres » … pour que jamais rien ne change.

José D’ARRIGO, rédacteur en chef du Méridional