L’édito de J-N Beverini – Carrière grecque de la Corderie : immersion dans l’oubli

Le chantier de la Corderie © WKMC

La décision d’ « enfouir » les vestiges de la carrière grecque antique de la Corderie a été rendue publique et officielle. Or, convient-il de parler réellement d’ « enfouissement » ?

Enfouissement ou immersion ?

L’enfouissement dans le langage archéologique consiste à protéger un site en le recouvrant d’un film surmonté d’un lit de sable afin d’en assurer l’intégrité pour d’éventuelles fouilles complémentaires par les générations futures.

le site va finir par être immergé

Employer pour le site antique de la Corderie le terme d’enfouissement est un mensonge de nature à déculpabiliser les services de l’État et à rassurer le citoyen naïf et crédule. La technique de l’enfouissement a été utilisée sur le site du Collège Vieux-Port à défaut d’une mise en valeur du Complexe grec archaïque découvert en 2005 comme l’avaient pourtant souhaité madame Jacqueline de Romilly, de l’Académie française, et monsieur Étienne Taillemite, ancien inspecteur général des Archives de France (lettres adressées au maire du moment).

En ce qui concerne la Corderie, la pose d’un voile et le recouvrement de terre seraient autant inutiles qu’inefficaces. Aux dires des archéologues les plus compétents, le ruissellement des eaux souterraines et leur stagnation due à la barrière que représente l’immeuble élevé en front du boulevard vont déliter, grignoter, ronger, raboter, détruire et éliminer la roche fondatrice de la plus ancienne ville de France. Le site va donc être immergé. Il convient donc de parler d’immersion.

« les vandales d’aujourd’hui détruisent par la loi »

Il ne s’agit nullement d’une protection pour les générations futures mais d’une décision pure et simple de destruction. De ce fait même, le terme d’ « enfouissement » est inapproprié et ne correspond pas à la réalité du terrain. De même qu’une mauvaise ménagère met la poussière sous le tapis, de même l’État met sous terre et sous l’eau un site qu’il a lui-même classé au titre des monuments historiques pour ne plus en entendre parler et pour que quiconque n’en parle plus. Car faut-il le rappeler le site a bien été classé et c’est la première fois, qu’après avoir prétendu défendre le patrimoine, la puissance publique par le biais de sa ministre et le bras incohérent de sa Direction régionale des Affaires culturelles détruit ce qu’elle a hissé au niveau de Bien national.

Une image déplorable

Comment justifier un tel revirement et une destruction maquillée sous l’appellation d’enfouissement ?  L’image que donnent l’État, le ministère de la Culture et sa Direction des Affaires culturelles est déplorable.

Selon le bon principe du parallélisme des formes, l’ancienne ministre de la Culture étant venue sur le site pour en classer 635 m2, je souhaite que l’actuelle ministre ou son successeur fasse de même pour assister personnellement à l’enfouissement-immersion.

Si l’image de l’incohérence de l’État est déplorable, la leçon qu’il affiche est regrettable. Il raye du présent et pour l’avenir un site unique du premier fondement de la civilisation démocratique de Marseille et au delà de Marseille de la France, Marseille étant déclarée la première ville de l’Hexagone.

comment justifier un tel revirement ?

À quoi bon avoir célébré en l’an 2000 avec tant d’enthousiasme et de fierté les 2600 ans de la fondation grecque de Marseille pour en détruire 22 ans plus tard la carrière fondatrice ! Incohérence.

À quoi bon avoir créé un Parc du XXVIème centenaire précédé d’un arbre dit de l’Espérance pour, quelques années plus tard, rayer toute espérance de survie pour un site exceptionnel qui permit à Marseille de sortir de terre ! Incohérence.

À quoi bon avoir déclaré Marseille Capitale européenne de la Culture, pour 19 ans plus tard « déculturer » Marseille ! Incohérence coupable.

L’Etat poignarde Marseille au cœur de son histoire

Les vandales d’hier détruisaient par la force. Les vandales d’aujourd’hui détruisent par la Loi. Cette destruction de notre passé, déjà connue et concrétisée au niveau national, se prolonge malheureusement au niveau local. L’enseignement de l’histoire ne se limite pas à l’apprentissage livresque du cours de l’existence d’un pays mais se manifeste aussi par la reconnaissance des réalisations que les différentes époques ont su créer. Les pierres parlent autant que les livres. Le Moyen Âge le savait qui inventa les vitraux dans les murs des cathédrales.

Puisse également, la ministre étant présente lors de l’enfouissement-immersion, être déposée comme cela se pratique en mer pour commémorer la disparition des équipages et de leurs navires engloutis au fond des eaux, une couronne mortuaire qui ne méritera pas d’être ornée d’un ruban tricolore.

Jean-Noël BEVERINI

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Jean-Noël BEVERINI appartient à l’Académie des Sciences, Lettres et Arts de Marseille.