Regards sur le monde – Le difficile retour des Yézidis au mont Sinjar

Un camp de réfugiés yézidis à Sharya, au Kurdistan irakien © MC Noulens

En 2014, l’Etat islamique en Irak et au Levant lance de grandes offensives sur l’Irak et conquiert une large partie du territoire pour y instaurer le califat islamique. Lors de cette guerre, les Yézidis, une communauté ethno-religieuse d’Irak, ont été les victimes d’un génocide. Aujourd’hui, bon nombre vivent encore dans les camps. Leur avenir est plus qu’incertain.

Presque cinq ans après la guerre, la nature reprend ses droits sur les paysages désolés de la plaine de Ninive. « Vous savez, nous avons beaucoup reconstruit depuis la libération », nous lance le chauffeur de taxi. Sa voix perce à peine le bourdonnement de son vieux véhicule : « L’armée irakienne et les milices se sont battues sur ce tronçon jusqu’à la ville de Qaraqosh. » Lui-même est un Peshmerga, un combattant kurde, comme en témoigne sa carte de combattant, coincée dans le pare-soleil de son taxi, tandis qu’un chapelet chrétien perle le long du levier de vitesse. Le contraste peut sembler saisissant mais il n’est pas rare que des chrétiens soient aussi des soldats kurdes, « pour arrondir les fins de mois ».

le massacre du mont sinjar a rendu plus de 2 700 enfants yézidis orphelins

Le 3 août 2014, les Yézidis sont victimes d’un massacre perpétré par l’Etat islamique d’Irak et du Levant, plus connu sous son acronyme : Daech. Ce même jour, près de 6 500 personnes sont capturées et des milliers sont exécutées. Parmi les prisonniers de Daech se trouvent des femmes et des enfants. Les jeunes filles et petites filles à partir de 9 ans sont réduites en esclaves sexuelles entre la Syrie et l’Irak tandis que les garçons sont envoyés dans les camps d’entraînement de Daech.

Le massacre du mont Sinjar a rendu plus de 2 700 enfants yézidis orphelins et a fait plus de 30 000 déplacés. Amnesty International estime à 3 000 le nombre de Yézidis disparus. Les Nations Unies n’ont pas hésité à qualifier ce massacre de génocide relevant du crime contre l’humanité et du crime de guerre.

La vie impossible dans les camps

La plaine, que l’on traverse à grande vitesse, porte encore les stigmates du conflit : trous d’obus profonds et recouverts de végétation, maisons détruites, noires d’une suie ancienne, postes d’observation fortifiés par de lourds sacs de sable tenus par les Peshmergas et camps de déplacés internes. Le velours vert de la plaine fait ressortir l’éclatante blancheur de la multitude de tentes, entourées de barbelés et de postes de garde. Au bout de la route se trouve un check-point massif. Il marque le passage du Kurdistan irakien vers l’Irak.

Camp de réfugiés yézidis à Sharya, au Kurdistan irakien © MC Noulens

De l’autre côté du check-point, Louis nous attend. La carrure imposante, les cheveux blancs et une épaisse moustache, il travaille pour l’ONG irakienne Hammurabi Human Rights Organization (HHRO) à Erbil et Mossoul. HHRO est une ONG irakienne créée en 2005 par Pascale Warda, ancienne ministre de l’Immigration et des Réfugiés, et son mari, William Warda. Cette ONG a pour but de promouvoir et de protéger les droits de l’homme en Irak à l’échelle régionale, nationale et internationale. Elle s’occupe particulièrement des minorités du pays : chrétiens, yézidis, sabéens, mandéens, Turkmènes, assyriens, Arméniens, etc. Louis enquête et se documente sur les crimes de Daech pendant la période de la guerre notamment auprès des victimes de la minorité yézidie.

dans les camps, le taux de suicide est élevé

Il existe encore 16 camps qui accueillent des réfugiés. Le quotidien y est rude. L’hiver est glacial sous les frêles tentes. Les incendies sont fréquents dans les camps à cause d’installations électriques vétustes. Le taux de suicides est élevé en raison de la misère, pauvreté et de la perte d’espoir. « Ce sont surtout les femmes qui se donnent la mort, souligne Louis. Il y a plusieurs facteurs : l’éloignement du foyer, la pauvreté et les conditions de vie difficiles dans les camps. Nous essayons de les aider à rentrer chez eux en payant les transports ou à créer une petite entreprise. La plupart des familles n’a plus de maison dans leur village d’origine. » Le retour de la communauté yézidie au mont Sinjar est complexe. Plusieurs milices et armées régulières s’y affrontent toujours pour le contrôle de ce point stratégique.

Marie-Charlotte NOULENS

© DR

Marie-Charlotte Noulens est journaliste depuis cinq ans. Elle est passée par la presse locale en Normandie avant de travailler à Bangkok pour « Asie Reportages ». Elle a rejoint ensuite le magazine « Aider les autres à Vivre », pour lequel elle écrit sur des sujets de société, principalement dans des zones touchées par la guerre ou encore, autour de la précarité en Afrique, au Moyen Orient et en Asie du Sud-Est. Elle se déplace à l’étranger et livre dans les colonnes du Méridional ses analyses sur l’actualité internationale.