Philippe Lacroix : une amende de 1531 euros pour une photo dans les calanques

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C’est une histoire incroyable. Abracadabrantesque. Finalement relaxante… Le journaliste Philippe Lacroix, aujourd’hui retraité, ancien grand reporter au Méridional, spécialisé dans la chronique automobile, était convoqué il y a quelques jours devant le tribunal correctionnel de Marseille pour y répondre d’un délit iconoclaste : celui de photographe d’un site naturel.

Et d’une il n’est pas photographe. Et de deux on l’appelle Michel dans l’ordonnance de renvoi alors qu’il s’appelle Philippe. Et de trois il n’est pas « un individu sans ressources » mais un retraité. Le président du tribunal et ses assesseurs ont eu du mal à comprendre les motifs, voire les mobiles, de la présence de ce citoyen ordinaire pris dans les rets d’une affaire fantasmagorique. Ce sont les dirigeants du parc national des calanques qui l’ont poursuivi pour avoir pris une photo de voiture japonaise dans ce fameux site touristique qui doit être exempt de toute intrusion commerciale.

Les magistrats ont ouvert des yeux incrédules et ont demandé au prévenu : « Mais que venez-vous donc faire ici ? » « C’est moi qui vous le demande », a respectueusement répondu Lacroix. « Etes-vous un délinquant d’habitude ? » a poursuivi le président. « Je ne crois pas. J’ai simplement refusé de payer une contravention il y a trente cinq ans car ma voiture était régulièrement garée dans une rue de Marseille et j’ai failli me retrouver aux Baumettes. » « Bien…, réplique le président, un peu décontenancé, donc vous n’aimez pas les contraventions, c’est ça ? Vous faites une intolérance sociale aux procès-verbaux comme d’autres refusent de régler leurs impôts… »

Le procureur est très ennuyé lui aussi. Aucune charge sérieuse ne peut être retenue contre Lacroix et il suggère au tribunal de le relaxer purement et simplement. Au terme d’une brillante plaidoirie de son avocat, Me Guy Jullien, le journaliste est relaxé. « On ne peut condamner un citoyen pour une prétendue infraction qu’il n’a pas pu commettre et qui porte atteinte gravement à la liberté d’expression », soulignera Me Jullien.

Philippe Lacroix était prévenu – quelle horreur – d’avoir pris quelques photos d’un nouveau modèle de la gamme japonaise Kia, la XCeed, au cap Croisette le 7 septembre 2019. Insupportable audace ! Comment a-t-il pu se permettre une telle licence ? Sauf que Lacroix était chez lui dans le Var à cette date et que son article sur le « Filauto » était paru le 5 septembre… Peut-être a-t-il enfreint une loi inhérente au parc national des calanques et à la protection du site ? Impossible. La société Kia-Europe avait décidé d’organiser une présentation internationale de son nouveau modèle entre le 2 et le 6 septembre 2019 en privatisant l’hôtel « N » sur la Corniche pour la réception de 500 journalistes de la presse internationale.

Les patrons japonais, soucieux d’une bonne démonstration de la maniabilité de leur nouvelle voiture, avaient sollicité au préalable un vaste espace destiné aux essais dans la zone urbaine du parc national des calanques et tout le périmètre du vaste parking étudiant de Luminy leur avait été accordé sans problèmes. Il n’était inscrit nulle part dans l’accord conclu entre les deux parties que cet espace naturel « leur était accordé à l’exclusion de tout autre site du parc ». Et les journalistes se sont empressés de se faire photographier au volant de leurs bolides au cap Croisette, à Callelongue et même sur la route des Crêtes, avec la mer en fond de toile pour immortaliser leur présence « dans cette splendide ville de Marseille ».

Quel culot ! Bande de délinquants primaires ! Comment avez-vous pu commettre de telles infractions ? Les dirigeants du parc national des calanques, soucieux de complaire aux écolos sectaires, se gendarment. Ils décident de poursuivre et la société Kia, et celui qu’ils désignent comme leur ambassadeur, le misérable Philippe Lacroix. Face à la bonne foi désarmante de nos amis japonais, ils reportent leur courroux sur Lacroix. Comme s’il était une sorte de plouc-émissaire…

D’où la situation ubuesque qui s’est ensuivi. Lacroix a eu beau intervenir personnellement auprès des élus de la ville et des dirigeants du parc des calanques pour inciter les procéduriers à plus de sagesse, il a fait chou blanc. Il n’a pas réussi à les convaincre que le seul objectif des journalistes était de « véhiculer » la meilleure image possible de la marque mais aussi de la ville de Marseille et de ses paysages fabuleux. Cette intercession amicale lui a même valu d’être la cible de ceux qui ont fomenté de toute pièce cette guerre picrocholine.

Le directeur du parc national lui a lancé tout de go : « Nous voulons que les constructeurs cessent de prendre le sujet à la légère. Nous ne leur interdisons pas de circuler, mais nous voulons qu’ils comprennent que ce qui est préjudiciable c’est cette mise en scène surannée de l’homme tout puissant dans sa machine qui domine la nature… » Magnifique ! Lacroix c’est plutôt un homme tout puissant devant sa machine à écrire ! Mais son obstination sarcastique va se retourner contre lui. Dans une émission de radio, il ironise sur ces écolos de pacotille, les gardes du parc, qui roulent en 4×4 diesel pour surveiller le site.

Ce zèle lui vaut un avis d’amende d’un montant pharaonique de 1531 euros. Une sorte de « forfait post photo », FPP, qui est censé verdir son attitude face à la nature toute puissante. Un mois de salaire pour une photo que vous n’avez jamais prise, c’est un peu fort de café, non ? Lacroix, primesautier, croit à un gag. Il rigole. Il raconte cette blague à ses amis qui s’esclaffent à leur tour. Mais ce n’est pas une plaisanterie. Le parquet a été saisi à la suite de deux convocations à Paris, siège de son « Filauto » qui n’existe plus depuis un an. Et un officier de police judiciaire le convoque au commissariat de Mazargues pour s’expliquer.

Les dirigeants du parc national des calanques ont trouvé une victime idéale. C’est ainsi que Lacroix se retrouve traduit au banc de l’infamie. La procédure, fondée sur du vent, ne tient pas…la route. 150 pages d’accusations fantaisistes et puis la justice innocente le journaliste. Tout est bien qui finit bien ? Pas tout à fait. « Je suis certain qu’un grand nombre de marques automobiles vont faire une croix ou plutôt la croix sur Marseille et boycotter la ville », déplore-t-il.

Il n’est pas très judicieux, quand on se bat pour faire respecter Marseille et ses sites fabuleux, de porter atteinte à la liberté d’expression. Ces photos éditoriales et non commerciales ne gênent personne et ne peuvent être qu’une publicité positive pour la ville. Les dirigeants du parc croient-ils qu’il vaut mieux s’en tenir au Marseille-poubelle, au Marseille-racaille, au Marseille-Kalach dont certains se repaissent à longueur d’antenne ? La procédure était manifestement abusive et Me Guy Jullien envisage une action contre ces malappris pour atteinte à la liberté d’expression, harcèlement volontaire, dénigrement arbitraire…

José D’ARRIGO, rédacteur en chef du Méridional