Tensions politiques, illusion écologique… que va-t-il rester des JO de Pékin ?

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Alain Bogé est spécialisé en Géopolitique, Relations Internationales et Commerce International. Il a notamment donné des cours à l’université de Lyon 3, à Lille et en Inde. Il enseigne actuellement à l’université de Prague et à l’European Business School de Paris.

Les Jeux olympiques de Pékin ont eu lieu du 4 au 20 février à Pékin, capitale de la Chine. Ils provoquent bien sûr des questions géopolitiques, le sport étant l’un des vecteurs du « soft power » dont les pays se servent pour augmenter leurs pouvoirs de séduction économique, social et, bien sûr, politique.

Pourquoi Pékin ?

C’est une première historique : la même ville, Pékin, a accueilli les JO d’hiver après ceux d’été en 2008. Mais en 14 ans, la perception de la Chine dans le monde a changé, tout comme le contexte international. Le pays est devenu un des deux leaders économiques mondiaux, avec les Etats-Unis, et le marché chinois des sports d’hiver en est à ses débuts. Les jeunes Chinois représentent un marché très intéressant pour les fabricants de matériels de sports d’hiver européens et américains. Les JO ont bien une connotation mercantile. Les choix de la Russie (2014) et de la Corée du Sud (2018) ont été dictés par les mêmes motivations. Le gouvernement chinois aspire aussi à la reconnaissance de sa place dans le monde.

Quel est l’environnement politique de ces Jeux olympiques ?

La charte des Jeux olympiques proscrit toute manifestation politique. Pourtant, cette présence du politique n’est pas nouvelle. En 1968, Tommie Smith et John Carlos lèvent ainsi le poing au moment de recevoir leurs médailles du 200 mètres pour exiger le respect des droits civils des Afro-Américains.

En Chine, le problème des droits de l’homme est posé, en particulier au Xin Jiang (ouest de la Chine) avec la population ouïghoure, mais aussi, plus généralement, avec la gestion de la population chinoise par le gouvernement (atteintes aux libertés individuelles, crédit social etc.) Ce sont les raisons pour lesquelles ces JO ont été boycottés diplomatiquement par plusieurs pays, dont les Etats-Unis, l’Australie, la Grande-Bretagne.

la présence du politique aux jo n’est pas nouvelle

La France n’a pas été représentée par son président, mais par la ministre des Sports (qui d’ailleurs n’a pu se rendre à Pékin pour cause de Covid).

Ce n’est pas première fois que les JO sont boycottés : que l’on pense aux JO de Moscou (1980), boudés par les Américains en raison de l’invasion russe en Afghanistan ou à ceux de Los Angeles (1984) par les Russes en retour.

Vladimir Poutine était l’invité d’honneur de ces JO de Pékin. La Russie est elle-même « interdite de JO » en raison de problèmes de dopage à Sotchi, en 2014 ; mais les athlètes russes participent à ces JO de Pékin individuellement. Pied de nez de Pékin à l’ordre établi ? Un certain nombre de dirigeants présents ne sont pas des parangons de démocratie : l’Arabie saoudite, l’Egypte, la Serbie… Ce qui a fait dire à un géopoliticien français que c’était une sorte de « bal des autocrates » !

Des JO « écologiques », vraiment ?

C’est peut-être ce qui a le plus agité la sphère olympico-sportive. « La mission de Beijing 2022 : organiser des Jeux respectueux de l’environnement, fédérateurs, ouverts et propres », déclaraient en 2019 les organisateurs. Le moins que l’on puisse dire est que l’objectif n’a pas été atteint…

Quand on dit JO d’hiver, on pense neige, « vraie » neige, jusque dans les stations ou villes d’accueil. Or, à Pékin, c’est 100% neige artificielle, au moyen de canons à neige. C’est, d’une certaine manière, la victoire de la technique sur l’environnement, à une époque où la maîtrise de l’environnement et la prise de conscience des problèmes climatiques sont les premières préoccupations de l’humanité. Cela signifie aussi l’utilisation disproportionnée d’énergie, d’eau, des éléments qui deviennent de plus en plus rares et précieux. 

a pékin, c’est une neige 100% artificielle

Cela étant dit, il est vrai que, à cause du réchauffement climatique, il y a une perte de couverture neigeuse à toutes les altitudes. Aujourd’hui, il faut aller très haut pour être certain d’avoir suffisamment de neige pour pouvoir assurer des activités sportives. Dans une étude publiée le 10 janvier, le géographe canadien Daniel Scott précise que, réchauffement climatique oblige, de moins en moins de villes ont la capacité d’accueillir les Jeux d’hiver dans des conditions correctes.

Mais cela n’enlève en rien l’impact de cette vision de pistes blanches au milieu de terres sèches et de cheminées d’usines (des épreuves ont eu lieu sur le site de l’entreprise Shougang, producteur d’acier situé en banlieue de Pékin). En même temps, est-ce surprenant ? On sait que la relation de la Chine aux enjeux climatiques reste dominée par le développement économique et le pragmatisme : priorité à la croissance.

Quelle est la signification de la rencontre entre Xi Jinping et Vladimir Poutine ?

Le président russe a été l’hôte d’honneur de ces JO, en pleine crise ukrainienne. Habile jeu chinois ?

En marge de ces Jeux olympiques, les présidents chinois et russes se sont rencontrés le 4 février et ce n’est pas vraiment un hasard. On peut considérer que ce sommet sino-russe peut représenter l’édification d’un front anti-occidental car les deux pays ont des raisons de se dresser contre la suprématie américaine : alliance AUKUS pour Xi Jinping (accord militaire entre les Etats-Unis, le Royaume-Uni et l’Australie en 2021), élargissement potentiel de l’OTAN pour Vladimir Poutine.

Par ailleurs, la Chine a laissé entendre qu’elle comprenait la position russe sur l’Ukraine. Imaginons qu’en contrepartie de cette « compréhension », le Kremlin comprenait la position chinoise envers Taïwan. C’est peut-être la première fois que la Chine et la Russie affichent aussi clairement leur entente sur la conduite du monde. Mais, indéniablement, le rapport de forces, politiques et économiques est en faveur de la Chine et la Russie est aujourd’hui une sorte de « junior partner » malgré les approvisionnements cruciaux de pétrole et de gaz dans le sens Russie-Chine.

Que va-t-il rester de ces Jeux olympiques d’hiver à Pékin ?

Au fil des ans, il semble que l’engouement pour les JO d’hiver ait globalement diminué alors que les JO d’été sont toujours plébiscités. Moins d’épreuves, moins d’athlètes, moins de couverture médiatique ? Pour les JO de Pékin, à ces potentielles raisons peut s’ajouter l’image de la Chine, pays hôte de ces JO d’hiver.

En 2008, cette image était différente. L’Occident croyait encore à la possibilité d’une démocratisation de la Chine. Georges W. Bush avait fait le voyage et avait été accueilli par le vice-président de l’époque, Xi Jinping. 14 ans après, Joe Biden n’est pas présent et l’ancien numéro 2 chinois à l’allure affable est devenu un leader tout-puissant, autoritaire et nationaliste. Sous son impulsion, la Chine rivalise à présent avec les Etats-Unis pour la première place.

Dans le même registre, on retiendra le boycott diplomatique qui, même s’il n’a pas été unanime, peut abîmer l’image de perfection mise en avant par les autorités chinoises. A un moment où les Etats-Unis semblent vulnérables, une entente Chine-Russie peut, à terme, bouleverser l’équilibre mondial. Le prochain épisode des péripéties géopolitiques du sport sera la Coupe du monde de Football au Qatar du 21 novembre au 18 décembre 2022. Nul doute que cette compétition sera l’objet de nombreux commentaires et tensions politiques.