Quelles implications de la nouvelle loi « 3DS » sur notre territoire ?

La ministre de la cohésion des territoires Jacqueline Gourault, chargée du projet de loi pour le gouvernement © WKMC

Le 9 février dernier, la loi « 3DS » relative à la différenciation, la décentralisation et la déconcentration, a été définitivement adoptée par le Parlement. Elle entrera en vigueur dans les prochains jours. Ce texte « fourre-tout » est complexe et technique. Pourtant, cette dernière grande loi du quinquennat aura des conséquences importantes sur notre région, notamment sur la Métropole Aix-Marseille-Provence (AMP). On vous explique tout.

La France, un pays jacobin 

Nous sommes en décembre 2018. La rébellion des Gilets jaunes, déclenchée en réaction à une fiscalité excessive sur le carburant, atteint son point culminant. Des centaines de milliers de manifestants déferlent sur les pavés de nombreuses villes, des affrontements violents les opposent chaque semaine à la police, l’Arc de triomphe est vandalisé, la préfecture du Puy-en-Velay est incendiée… Le président Emmanuel Macron cherche désespérément un moyen de calmer la situation. Dans l’espoir d’apaiser le conflit, il décide d’organiser un grand débat national, pour permettre aux Français d’exprimer leurs revendications. Un débat aux thèmes imposés d’avance, mais qui aboutit à un certain nombre de propositions. L’une d’entre elles sera reprise par le gouvernement : « Ouvrir un nouvel acte de décentralisation fondé sur le principe de la différenciation territoriale ».

C’est ainsi qu’est née la loi 3DS. Plus qu’une petite loi de circonstance, elle représente ce qu’on appelle l’acte 4 de la décentralisation, c’est-à-dire le transfert de compétences de l’État, basé à Paris, vers les collectivités territoriales en région. Le mouvement est lancé en 1982 par le maire de Marseille Gaston Defferre, également ministre de l’Intérieur de François Mitterrand. Le Marseillais, très attaché à l’autonomie des territoires, n’en pouvait plus de la verticalité du pouvoir, et du comportement presque colonial des préfets en province. Aujourd’hui encore, la République française reste profondément marquée par l’héritage idéologique des jacobins de la Révolution, basé sur le centralisme parisien et la répression des particularismes locaux.

« 3D », qu’èsaquo ?

En plus de la décentralisation, le deuxième D consacre la déconcentration, qui consiste à déléguer des compétences de l’État à Paris vers d’autres entités étatiques au niveau local. L’objectif est de rapprocher le pouvoir des citoyens, même si finalement c’est toujours Paris qui décide. Le préfet est l’autorité déconcentrée par excellence : il représente l’État dans les territoires. Enfin, le dernier D, et pas des moindres, est la « différenciation territoriale ».

Pour l’instant, les collectivités locales de même catégorie (commune, département, région) disposent toutes des mêmes compétences. Avec ce nouveau droit, chaque collectivité pourra demander à s’attribuer ou non certaines compétences, et de déroger à certaines règles de droit, au nom de ses particularismes. Pour cela, il lui suffira de procéder à un vote de son conseil, et transmettre la demande au Premier ministre.

Plus que d’un concept juridique supplémentaire, il s’agit là d’une remise en cause d’un principe cardinal issu de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen : l’égalité devant la loi. Qui que l’on soit, on doit être traité de manière identique, et soumis aux mêmes règles de droit. Emmanuel Macron lui oppose ce qu’il appelle son « pacte jacobin ». Cette décentralisation « à la carte » permettra de s’adapter à la diversité des territoires, et de ne pas chercher l’uniformité à tout prix au mépris des besoins locaux. Toutefois, elle risque de devenir une usine à gaz. Aujourd’hui, seuls les élus locaux et les juristes s’y retrouvent dans le complexe millefeuille administratif français. Demain, plus personne n’y comprendra rien, car la loi s’appliquera différemment dans chaque commune, chaque département, chaque région.

Et la métropole dans tout ça ?

Si la loi est avant tout un inventaire à la Prévert de mesures techniques touchant à tous les aspects des collectivités territoriales, certains articles concernent particulièrement la Métropole Aix-Marseille-Provence. La répartition des compétences sera modifiée : une dizaine de compétences perdues par les communes au profit de la métropole pourront leur être restituées si elles le souhaitent, notamment la voirie et la promotion du tourisme.

On trouve également dans le texte la suppression des conseils de territoire au 1er juillet 2022. Cette instance représentait un échelon intermédiaire entre la métropole la plus vaste de France, et les 92 communes qui la composent. De nombreux maires souhaitaient la conserver, notamment les élus aixois, vent debout contre leur disparition. Le gouvernement a tranché, considérant qu’elles alourdissaient la gouvernance.

Lors de sa visite du 2 septembre 2021 pour annoncer son plan « Marseille en grand », Emmanuel Macron avait dénoncé les dysfonctionnements de la Métropole AMP, et promis de la réformer dans le cadre de la loi 3DS. La ministre de la cohésion des territoires Jacqueline Gourault est revenue plusieurs fois pour négocier, notamment avec Martine Vassal, la présidente de la Métropole. Sauf que les maires d’Aix et de Marseille, les deux principales villes du territoire, ne sont pas satisfaits du résultat. Sophie Joissains et Benoît Payan espéraient obtenir plus de compétences. La première parce qu’elle a repris le conflit ouvert avec Martine Vassal que menait déjà sa mère, contre la mainmise de Marseille sur la métropole. Le second parce qu’en tant qu’élu socialiste, il supporte mal de voir certaines compétences municipales dévolues à une intercommunalité où dominent encore ses adversaires politiques de droite. C’est peut-être l’illustration de la cacophonie que risque d’introduire cette différenciation, où chaque élu tente de tirer la couverture à soi, réclamant le plus de prérogatives possible.

Antoine LIVIA