« A vrai dire », la chronique éco de Pierre Dussol (15) : Homme économique (homme tout court)

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Pierre Dussol est professeur d’économie honoraire à Aix-Marseille-Université. Il a compris depuis belle lurette les méfaits de la torsion des mots sur la désorientation et le vide des esprits. En véritable « redresseur de tors », il a décidé de reprendre les définitions de base qui permettent de mieux décrypter les habillages et autres artifices du politiquement correct. Il livre son point de vue savoureux dans les colonnes du Méridional.

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La vie économique est une science du comportement humain. Les économistes se sont vu reprocher la trop grande simplicité de « l’homo œconomicus » désincarné et ultra rationnel supposé représenter l’acteur économique type.

Il s’agit d’une caricature si l’on entend par là que l’homme ne serait guidé que par des calculs chiffrés auxquels se ramèneraient les termes de ses choix. Les économistes observateurs savent que les hommes décident tous en fonction de leurs préférences, et que celles-ci dépendent autant d’éléments objectifs, calculables que de leur propre système de valeurs bien plus subjectif.

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Il n’y a rien de déshonorant à chiffrer ce qui peut l’être, par exemple pour un achat précis qui doit être financé, comme une maison, mais les choix sont plus larges. Certains éléments non chiffrables pèsent dans la décision. Ainsi, un ménage qui cherche à acheter un logement saura très bien s’informer sur les prix des biens disponibles et sur les financements indispensables. Pourtant à prix égal, le choix d’habiter en centre-ville ou à la campagne pourra aussi dépendre du fait que Madame aime jardiner et que Monsieur ne veut surtout pas mettre les mains dans la terre.

Aucun économiste sérieux n’ignore ces éléments « non monétaires ». Chacun a son système de préférences, mais on retrouve des éléments communs et constants dans le temps. Pascal écrivait – à peu près – que « tous les hommes cherchent d’être heureux, y compris celui qui va se pendre ».

Il existe un invariant humain : chacun cherche son « intérêt » – ce terme va bien au-delà de l’aspect monétaire – et en cela il est « rationnel ».  Disons que chacun a des objectifs et que l’on en retrouve beaucoup qui ne changent pas. Chacun préfère réussir qu’échouer dans ce qu’il a choisi d’entreprendre, préfère gagner que perdre, livrer moins d’effort que plus d’effort – c’est même la source principale de la productivité – avoir un travail intéressant et bien rémunéré plutôt que le contraire, à moins que son « système de valeurs » ne consiste à « rien foutre au pays ». 

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Cherchez cette expression sur Google, vous ne serez pas déçus quant à la variété des motivations humaines. Pour les 400 ans de la naissance de Molière, les commentateurs soulignent très justement que les comportements de ses personnages sont toujours ceux des hommes d’aujourd’hui : la vanité, la boursouflure du moi, autant que la discrétion, cohabitent. L’avarice la plus minable coexiste avec le désintéressement, l’activité avec la paresse, la lâcheté avec le courage etc.

Il n’est donc pas tellement difficile de faire fonctionner une vie économique saine : « Les hommes sont ainsi faits que les incitations les incitent », a écrit l’économiste Gregor Muldon. Cherchons les bonnes incitations et appuyons-nous sur elles.