Qui est Fabien Roussel, le communiste préféré de la droite ?

Fabien Roussel au congrès du PCF à Ivry en 2018 © WKMC

Depuis quelques mois, Fabien Roussel, le candidat du Parti communiste français (PCF), s’est ménagé une place de choix dans le concert médiatique. En défendant la police, la chasse, le nucléaire, ou encore l’identité française, il a pris le contre-pied de sa famille politique. A l’inverse, le marxiste a gagné une réelle sympathie à droite. Cette dernière, fatiguée par les lubies sociétales et le wokisme, croit même voir en lui le retour de la bonne vieille gauche d’antan, avec qui on pouvait discuter. C’est oublier qu’il reste une exception.

Un communiste atypique 

Le 11 janvier dernier, Fabien Roussel déclenchait l’une de ces polémiques futiles dont la France a le secret, avec ces paroles en apparence anodines : « Un bon vin, une bonne viande, un bon fromage : pour moi, c’est la gastronomie française. Le meilleur moyen de défendre le bon vin, la bonne gastronomie, c’est de permettre aux Français d’y avoir accès. » L’inconscient ne s’imaginait pas qu’il susciterait l’ire d’une partie de la gauche, qui s’est empressée de l’accuser d’anti-écologisme, de chauvinisme, voire d’être un réactionnaire d’extrême droite. L’écologiste Sandrine Rousseau est montée au créneau sur les plateaux de télévision pour pourfendre le déviant, qui n’a pas hésité à rétorquer dans l’Opinion que « La vie à base de quinoa et de tofu est fade. Ce n’est pas ma France. » Il faut dire qu’il n’en est pas à son coup d’essai. Par ses prises de position, il a su se distinguer radicalement du reste de la gauche, et susciter la curiosité, voire la sympathie à droite.

Cela n’avait rien d’une évidence, étant donné son parcours. Le moins qu’on puisse dire est qu’il est tombé dans la marmite quand il était petit : issu d’une famille de militants communistes du nord, il grandit biberonné au marxisme. Enfant, il accompagnait déjà son père, adjoint communiste à la mairie de Béthune, tracter devant les usines. Il devient ensuite journaliste à « L’Humanité », travaille pour des élus du parti, en cabinet ministériel, au Parlement, puis au conseil municipal de la ville de Saint-Amand-les-Eaux (59230).

Après toute une carrière réalisée dans l’appareil du PCF, il est en 2017 élu député du Nord, et en 2018 consacré secrétaire général du parti, succédant à Pierre Laurent. À la suite d’un vote des militants, il est aujourd’hui le premier candidat communiste autonome à l’élection présidentielle depuis 15 ans – la dernière en date était Marie-Georges Buffet en 2007. Entre temps, sa famille politique avait préféré soutenir la candidature de Jean-Luc Mélenchon. 

Une ligne politique qui détonne

Son programme consiste en un retour aux fondamentaux de la gauche, c’est-à-dire le social. Il propose une augmentation du Smic à 1 500€ nets par mois, une allocation de 850€ pour les étudiants, la semaine de 32h de travail, un ISF (impôt de solidarité sur la fortune) rétabli et triplé, le recrutement de 500 000 fonctionnaires, etc. Jusque-là, rien que de très classique. Là où il se démarque, c’est en soutenant l’énergie nucléaire – vouée aux gémonies par la gauche depuis longtemps – en exaltant la nation, la gastronomie française, la chasse, et même la police. « Ma gauche, elle comprend tous les Français qui souhaitent avoir droit à la tranquillité publique », proclame-il. Il promet : « Nous remettrons des moyens » pour des forces de l’ordre et de renseignement, qui ont pour lui été « déshabillées ».  L’homme de gauche n’a pas hésité à se rendre à la grande manifestation de soutien aux policiers de mai 2021, et défend la création de 30 000 postes supplémentaires ; la droite elle-même n’en propose pas autant.

Fabien Roussel poursuit là un but bien précis. Il espère reconquérir l’électorat populaire, qui a massivement délaissé le vote communiste pour le Rassemblement national de Marine Le Pen : « Je ne leur demande pas leur carte d’électeur, je ne leur demande pas ce qu’ils ont pu voter avant. » Cela passe par la reprise en main des thèmes qui ont été abandonnés à la droite : « Il ne faut pas laisser au seul Front National la mainmise sur des sujets comme la nation, la souveraineté, la sécurité, le vivre-ensemble. »

Pour les rassurer, il a même déclaré que « quand on ne bénéficie pas du droit d’asile, on a vocation à rentrer chez soi ». Des thèmes plus à même de toucher les couches populaires française traditionnelles, quand le reste de la gauche s’adresse désormais aux minorités et aux classes moyennes de centre-ville. Toutefois, il est peut-être trop tard pour les récupérer. Le candidat marxiste stagne pour l’instant autour de 2% des intentions de vote.

Une stratégie qui fait grincer des dents

Les premiers grands perdants de ce repositionnement du PCF sont les fidèles de La France insoumise (LFI), le parti de Jean-Luc Mélenchon. Ils perdent l’appui de militants besogneux, et de ce qui reste du réseau des maires communistes, qui a permis à Fabien Roussel de récolter facilement les 500 parrainages d’élus nécessaires pour se présenter à l’élection présidentielle, là où LFI patine. Les deux partis se sont quittés en 2017 sur des tensions ; Jean-Luc Mélenchon avait même lancé par SMS à Pierre Laurent, à l’époque secrétaire général du PCF, « vous êtes la mort et le néant ». Ce qui n’empêche pas les Insoumis de multiplier aujourd’hui les appels du pied aux communistes, espérant toujours les rallier. Certains n’y sont pas restés insensibles, comme le député de Seine-Maritime Sébastien Jumel, qui a officiellement apporté son soutien à la campagne de Jean-Luc Mélenchon.

En interne, certains ne digèrent pas la nouvelle ligne politique du parti qu’ils qualifient de virage à droite, et la familiarité affichée avec certaines personnalités de ce bord politique honni. Xavier Bertrand, figure de la droite sociale, entretient de très bonnes relations avec lui dans sa région des Hauts-de-France, et reconnaît qu’« il n’est pas idéologue, pas sectaire ». D’après « Libération », Sonia Mabrouk, journaliste vedette sur Cnews et Europe 1, les médias du très droitier Bolloré, échangerait régulièrement par SMS avec lui, et lui aurait reconnu le mérite d’appartenir à « la vraie gauche ».

De fait, Fabien Roussel appartient à une gauche moins intolérante, capable de discuter avec ses adversaires sans les traiter de fascistes, sans haïr la police par principe, et sans rejeter le malaise identitaire et l’insécurité comme des fantasmes d’extrême droite. Il n’a pas non plus les tares des communistes historiques, prompts au sectarisme, à la violence politique, et aux tentations dictatoriales. Il soutient des mesures démagogiques et économiquement absurdes, mais rejette à demi-mot l’anticapitalisme, et chante même les louanges des petits patrons. Plus que l’incarnation d’un retour au bon vieux temps, il est en réalité le prototype d’une extrême gauche qui n’a jamais existé. La droite aurait tort d’oublier qu’il est un spécimen unique, et pas le révélateur d’une tendance de fond.

Antoine LIVIA