Reconnaissance du génocide des Ouïgours en Chine : ce que signifie l’abstention de La France insoumise à l’Assemblée

La député Danièle Obono aux côtés de Jean-Luc Mélenchon en 2018 lors de la manifestation "La fête à Macron" © WKMC

L’Assemblée nationale, le 20 janvier dernier, a adopté à une écrasante majorité une résolution qui qualifie la répression des Ouïgours en Chine de « génocide » et de « crime contre l’humanité ». Seuls cinq députés se sont abstenus, dont quatre appartiennent à La France insoumise (LFI), le parti de Jean-Luc Mélenchon. Cette position a immédiatement suscité une intense controverse.

Une classe politique française presque unanime

Il s’en est fallu de peu pour que, fait rare, le texte soit voté à l’unanimité. Le jeudi 20 janvier, l’Assemblée nationale a adopté une résolution qui « Reconnaît officiellement les violences perpétrées par les autorités de la République populaire de Chine à l’encontre des Ouïgours comme constitutives de crimes contre l’humanité et d’un génocide », et incite le gouvernement français à mener une politique étrangère plus ferme pour faire cesser cette situation. Le texte est symbolique, sans portée légale, mais il envoie un signal fort à 15 jours du début des Jeux Olympiques d’hiver à Pékin. Un député a voté contre : il s’agit de Buon Tan (LREM), d’ascendance chinoise, connu pour défendre systématiquement son pays d’origine. Cinq autres parlementaires se sont abstenus : Danièle Obono, Clémentine Autain, Mathilde Panot, et Ugo Bernalicis, encartés à LFI, ainsi que le communiste Jean-Paul Lecoq.

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Cette abstention des fidèles de Jean-Luc Mélenchon a provoqué l’indignation dans le reste de la classe politique, notamment chez les socialistes, à l’origine du texte. La maire de Paris Anne Hidalgo, également candidate du PS à l’élection présidentielle, a dénoncé sur le plateau de France Info : « Les Insoumis, qui donnent beaucoup de leçons en matière de droits humains et de démocratie, qui sont contre cette résolution parce qu’ils ne veulent pas se mettre en difficulté avec la Chine, je trouve ça indigne. »

Que se passe-t-il en Chine ?

Le débat concerne la politique chinoise dans une région située au Nord-Ouest du pays, le Xinjiang. Plusieurs ethnies cohabitent dans ce vaste territoire ; la plus importante est celle des Ouïgours, un peuple musulman turcophone de 12 millions d’âmes. Son identité culturelle et religieuse est très différente de celle de Hans, majoritaires, ce qui lui a déjà valu une forte répression par le passé. Le régime communiste actuel fait subir à ce peuple une terrible politique : internement dans des camps de concentration et de rééducation, torture, travail forcé, stérilisation des femmes, destruction de mosquées, surveillance de l’État jusque dans les moindres aspects de la vie… Le gouvernement chinois justifie ces exactions par la lutte contre le terrorisme islamique, mais son but réel est la destruction totale de l’identité ouïgoure. Un documenté interne du parti ayant fuité dans le New York Times parle de « briser leur lignée, briser leurs racines, briser leurs liens et briser leurs origines ».

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Pour justifier son vote, la députée LFI Clémentine Autain explique que le terme de génocide n’est pas adapté pour qualifier ces exactions, et ne doit pas être banalisé. Le mot génocide n’est pour l’instant appliqué officiellement qu’aux massacres qu’ont subi les Arméniens, les Juifs, et les Tutsis au siècle dernier. Clémentine Autain préfère parler de « risque, de dynamique génocidaire », s’appuyant sur une déclaration de l’ONU d’octobre dernier. Jean-Luc Mélenchon a de son côté fustigé l’hypocrisie des politiques, qui font de grands discours sur le génocide mais ne prévoient même pas d’agir pour l’empêcher car « s’il y a un génocide, alors on intervient pour l’arrêter, militairement ! » S’il concède que « on ne peut pas se reconnaître dans leur façon de traiter cette question de liberté », il soutient que le gouvernement chinois a pour but de traquer les islamistes, et qu’il va simplement trop loin.

Les vraies motivations de La France insoumise 

Ces arguments ne sont pas totalement sans fondements. Les relations entre l’ethnie Han majoritaire et les Ouigours ont toujours été tendues, et marquées par des soulèvements indépendantistes depuis l’annexion du Xinjiang par la Chine au XVIIIème siècle. Confrontés ces dernières années à une politique de « sinisation » forcée et brutale de la part des Hans, les Ouïgours fomentent des émeutes. En 2013-2014, une importante vague d’attentats islamistes perpétrée par des terroristes locaux ensanglante le pays. Le régime répond par la politique « anti-terroriste » que nous connaissons.

Toutefois, les spécialistes sont clairs : il n’existe plus aucun parti islamiste sérieux au Xinjiang. Les Chinois ont surtout un besoin impératif de stabilité sociale de long terme dans la zone, d’où part le projet des « Nouvelles routes de la soie », pilier de la politique étrangère de Xi Jinping. Les Insoumis feignent de croire la propagande du régime chinois, à qui Jean-Luc Mélenchon reconnaît même qu’il « présente parfois des qualités ». La qualification de génocide fait effectivement débat, mais la campagne de stérilisation forcée des femmes ouïgoures, révélée par des témoignages de victimes et des documents administratifs ayant fuité, aura à terme pour résultat la disparition de ce peuple. Nous sommes probablement face à une forme moderne de génocide, plus lent et pernicieux que ceux du XXème siècle.

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Il n’est pas anodin que le cinquième député à s’être abstenu de voter la résolution soit un communiste. Après Cuba et le Venezuela, Jean-Luc Mélenchon récidive en soutenant ou minimisant une nouvelle fois les crimes d’une dictature d’extrême gauche. La vraie raison de ce vote est la proximité idéologique entre les Insoumis et le régime chinois : le candidat aux présidentielles est lancé dans une opération séduction vis-à-vis des militants communistes français. Il tente de les rallier à lui, alors que le secrétaire national du PCF, Fabien Roussel, a décidé que – contrairement aux élections 2012 et 2017 – son parti ferait cavalier seul, et ne soutiendrait pas Jean-Luc Mélenchon. C’est une position risquée : ces gages donnés aux communistes pourraient déplaire à ses électeurs potentiels plus centristes, mais tentés par un vote utile. A l’heure actuelle, il est toujours le candidat le mieux placé à gauche.

Antoine LIVIA