L’inquiétude pèse sur l’Ukraine

Char russe © WKMC

Dans un discours du mercredi 19 janvier, le président des Etats-Unis Joe Biden a confirmé l’idée d’une probable « incursion » russe en Ukraine. « Je pense qu’il [Vladimir Poutine] va bouger. Il va devoir faire quelque chose », a-t-il dit sans préciser davantage. Le secrétaire d’Etat Anthony Blinken doit rencontrer son homologue Serguei Lavrov le 21 janvier à Genève. Parallèlement, l’administration Biden a annoncé une nouvelle aide « sécuritaire défensive » de 200 millions de dollars à l’Ukraine, qui s’ajoute aux 450 millions d’assistance militaire déjà accordés.

La situation apparaît tendue puisque la Russie a d’ores et déjà fait savoir qu’elle refuserait toute concession et agite toujours la menace de l’invasion. Quels sont les scénarios envisageables ?

• Une invasion pure et simple de l’Ukraine

Celle-ci pourrait s’effectuer en une semaine. Actuellement, entre 100 000 et 150 000 soldats russes sont massés à la frontière russo-ukrainienne dans le sud du pays. Par ailleurs, la Biélorussie a annoncé le 18 janvier l’arrivée de troupes russes pour des exercices de « préparation au combat » en février, en raison des tensions croissantes avec les Occidentaux et l’Ukraine. Donc, a priori, on note la présence de troupes russes au sud-est et au nord de l’Ukraine.

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Néanmoins, ce scénario semble, certes réalisable, mais inapproprié dans la mesure : cette invasion déclencherait des conséquences aujourd’hui incalculables, avec des pertes humaines importantes, y compris du côté russe. Certaines questions s’ajouteraient : que ferait la Russie de l’Ukraine ? Une province russe, un état-satellite ? Quelles seraient les réactions des Etats-Unis et de l’OTAN ? Pourrait-on aller, même si les circonstances ne sont pas les mêmes, vers un nouveau Munich ?

• Une annexion du Donbass                                                                              

C’est le scénario le plus envisageable. Les services de renseignements russes pourraient fomenter un ou des incidents, donnant ainsi prétexte à une invasion localisée.

En décembre 2021, une « gaffe » commise par un simple tribunal de la région de Rostov-sur-le-Don, proche de la frontière ukrainienne, mentionnait la présence de troupes russes dans les républiques populaires du Donetsk et de Louhansk, les deux territoires séparatistes du Donbass. Ce tribunal jugeait une banale affaire de corruption liée à l’approvisionnement en nourriture de l’armée russe dans la région. Les détails du jugement permettaient de penser que cette affaire portait sur environ 26 000 soldats présents dans la Donbass. L’information a été immédiatement démentie par le Kremlin.

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Vladimir Poutine a déjà tiré avantage de sa stratégie offensive : il traite d’égal à égal avec le président Biden, ce qui replace la Russie sur l’échiquier mondial. L’annexion du Donbass serait, en quelque sorte, la suite logique de l’annexion de la Crimée en 2014. A cette époque, le « fait accompli » avait réussi ; aucun Etat n’avait vraiment réagi, si ce n’est par des sanctions économiques. Pourquoi cela serait-il différent aujourd’hui ? Ce scénario offrirait aussi à Vladimir Poutine une porte de sortie valorisante au conflit. Après l’intervention au Kazakhstan, l’annexion du Donbass confirmerait la stratégie russe de surveillance de son « étranger proche ».

• Une conquête de villes stratégiques dans le sud de l’Ukraine pour faire un bloc avec la Crimée

On parle ici des ports de Marioupol et de Berdiansk, très proches du Donbass, ce qui permettrait au Kremlin d’augmenter son emprise sur la mer Noire. Une question se poserait alors : quelle serait l’attitude de la Turquie ?

• Les autorités américaines acceptent le principe de non-élargissement de l’OTAN à d’autres pays voisins de la Russie et celle-ci se satisfait d’un statu quo avec l’Ukraine

Cela est difficilement envisageable car cela correspondrait à une capitulation des Etats-Unis et, de fait, à une reconnaissance de la pertinence de la stratégie russe et du renforcement de Vladimir Poutine sur la scène internationale.

C’est une « guerre de nouvelle génération » (Valery Gerassimov) à laquelle nous assistons ; un concept qui rejoint la stratégie de « guerre totale » : en plus des paramètres militaires et économiques, les cyber-attaques (deux cyberattaques, à un jour d’intervalle, ont visé l’Ukraine autour du 14 janvier et environ 70 sites ont été piratés ; des messages assurant que les Ukrainiens devaient « s’attendre au pire » ont remplacé les pages d’accueil de ces sites) entrent désormais dans le paysage géopolitique.

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Il semble que ce soit Vladimir Poutine qui ait les cartes en main aujourd’hui. Le problème est de savoir comment il va les jouer. Sa position, très rigide, va-t-elle faire plier les Américains ? Quelle va être la position de l’Union européenne, qui commence une « ère Macron » pour six mois (le président français a dit vouloir que l’Europe « pose ses exigences » dans le dossier) ? Les réponses seront, et devront, être vraisemblablement connues dans les jours à venir.

Alain BOGE

Alain Bogé est spécialisé en Géopolitique, Relations Internationales et Commerce International. Il a notamment enseigné à l’Université Lyon 3 (IAE), à la Delhi University-Inde (School of Economics), à l’IESEG School of Management Lille-Paris. Il donne actuellement des cours à la Czech University of Life Sciences-Dpt Economy-Prague, à la Burgundy School of Business (BSB)-Dijon et à la European Business School (EBS)-Paris.