La France au bord de la pénurie d’électricité

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En plein hiver, le pays est confronté à une situation peu commune : son réseau électrique est en tension, il n’a plus de marge, et risque même des coupures de courant. La faute en est aux problèmes conjoncturels que rencontre EDF, le principal producteur de l’hexagone, mais surtout à des années d’égarement en matière de politique énergétique. 

Une accumulation de déboires

Elles sont le symbole d’un temps que l’on croyait révolu : les deux dernières centrales à charbon de France, à Saint-Avold (Moselle) et Cordemais (Loire-Atlantique) se préparent à redémarrer à pleine puissance. Leur épaisse fumée noire portera 1 million de tonnes supplémentaires de CO2 dans l’atmosphère cette année. Un décret signé par la ministre de la Transition énergétique Barbara Pompili a autorisé ce revirement, alors qu’elles sont toujours censées fermer respectivement en 2022 et 2024. La raison ? Le pays peine à produire suffisamment d’électricité pour couvrir sa demande, et les centrales à charbon sont le dernier recours pour répondre à l’importante consommation hivernale.

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EDF, le producteur historique d’électricité en France, est en pleine tourmente. Les mesures sanitaires ont ralenti le calendrier d’entretien de ses centrales nucléaires, et un « défaut générique » vient d’être repéré sur plusieurs réacteurs. Ces raisons font que près d’un réacteur sur cinq est à l’arrêt pour entretien et inspection, limitant la production en plein hiver. De plus, les prix de l’électricité ont bondi au niveau mondial, tirés vers le haut par le regain d’activité post-confinement. Pour protéger les consommateurs français, le gouvernement a bloqué la hausse des prix des tarifs réglementés de vente, qu’il fixe par décret. Ce blocage coûtera 8 milliards d’euros à l’entreprise. Pour réduire la facture des ménages, l’État a également décidé de forcer l’énergéticien national à augmenter la quantité d’électricité nucléaire qu’il est tenu de brader à des fournisseurs d’électricité concurrents, à un prix quatre fois inférieur à celui du marché. Cerise sur le gâteau, un énième incident est survenu début janvier sur le chantier de l’EPR de Flamanville. Le réacteur nouvelle génération construit par EDF en Normandie accusera six mois de retard supplémentaires.

Bruno Le Maire et Barbara Pompili, respectivement ministres de l’Economie et de la Transition énergétique, ont assuré EDF de leur soutien. Pour remettre la principale entreprise publique du pays sur les rails, et garantir notre approvisionnement énergétique, Emmanuel Macron devra surtout tenir son engagement pris le 9 novembre 2021. Il avait alors promis de lancer pour la première fois depuis des décennies un grand plan de construction de nouveaux réacteurs nucléaires. Il s’agirait probablement de six EPR II, une version allégée et simplifiée de celui Flamanville. Ce redressement est d’autant plus vital que les pots cassés seront acquittés par son principal actionnaire, l’État, donc le contribuable.

Comment en est-on arrivé là ?

C’est un immense gâchis, tant la France avait tous les atouts en main. A la suite du choc pétrolier de 1973, le gouvernement de Pierre Messmer avait lancé un immense plan de construction de centrales nucléaires pour se défaire de la dépendance aux hydrocarbures étrangers. La France dispose aujourd’hui du second parc installé après les États-Unis avec 56 réacteurs en service, et reste le pays le plus nucléarisé du monde : 67% de la production électrique nationale provient de l’atome. Les consommateurs avaient accès à une électricité abondante, bon marché, qui élevait la France au rang de premier exportateur d’électricité d’Europe ; une aubaine pour notre balance commerciale, et un atout pour notre souveraineté.

Ces dernières décennies, les idées écologistes ont fait leur chemin. Après Tchernobyl et Fukushima, le nucléaire fait peur. Les énergies renouvelables (EnR), qualifiées de « vertes », se sont imposées comme l’alpha et l’oméga de l’écologie. Pour flatter cette sensibilité, le président François Hollande a promis de développer massivement les EnR, et de réduire la part du nucléaire à 50% de la production. Il s’est également engagé à fermer la centrale de Fessenheim (Alsace), la plus ancienne en activité. C’est finalement son successeur Emmanuel Macron qui a mis cette dernière promesse à exécution en 2020, alors que l’ASN (Autorité de sûreté nucléaire) avait donné un avis favorable à son maintien. Le résultat est que l’approvisionnement électrique de la France, privé des 1 800MW des réacteurs alsaciens, et de ceux dont l’entretien est perturbé par la crise sanitaire, s’est immédiatement retrouvé en tension.

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Les centrales nucléaires françaises, bâties pour la plupart dans les années 80, sont vieillissantes. Prévues à l’origine pour durer 40 ans, elles ont en réalité été relevées aux normes de sécurité actuelles, et sont plus sûres qu’au moment de leur construction, mais leur entretien coûte de plus en plus cher. C’est pour assurer leur renouvellement qu’une nouvelle génération de réacteurs dits EPR (European Pressurized Reactor), plus puissants, efficients et sécurisés, a été lancée. La tête de série, construite à Flamanville par EDF, devait être la vitrine de notre industrie de pointe. Le chantier, débuté en 2007, s’est révélé un bourbier, et les incidents et malfaçons se sont enchaînés. Le coût est passé de 3 à 12 milliards d’euros, et les travaux ont pris 11 ans de retard ; la mise en service est actuellement prévue pour 2023, alors que le pays a un besoin urgent de cette production. Un rapport de 2019 explique ces déconvenues par la « perte de compétence généralisée » dans l’ensemble des entreprises de la filière, qui n’avait plus construit le moindre réacteur depuis une quinzaine d’années.

Quand les écologistes contribuent au réchauffement climatique

Si l’on risque aujourd’hui des coupures de courant, cela est dû à l’affaiblissement de la filière nucléaire, et à l’échec de la mise en place des énergies renouvelables. Dans ces deux phénomènes, les écologistes – les Verts (EELV) en politique, Green Peace et WWF dans le monde associatif – portent une lourde responsabilité. Leur idéologie s’est construite sur le rejet du nucléaire, et ils exercent une pression constante sur les gouvernements successifs, quand ils n’en font pas tout simplement partie. C’est à la suite d’un accord avec Cécile Duflot (EELV) que François Hollande a promis la fermeture de Fessenheim, et c’est pour attirer Nicolas Hulot dans son gouvernement qu’Emmanuel Macron l’a mise en œuvre. L’actuelle ministre de la transition énergétique Barbara Pompili est une ancienne des Verts, et défend farouchement les mêmes positions.

Dans leurs discours, ils occultent un élément fondamental : l’énergie atomique est décarbonée. La production électrique française constituée majoritairement de nucléaire, puis d’hydraulique issu des barrages, a permis à la France de devenir le pays du G7 qui émet le moins de gaz à effet de serre en proportion de sa population. Inversement, les énergies dites « vertes » sont intermittentes. Lorsqu’il n’y a ni soleil ni vent, il faut compenser au plus vite par des centrales à allumage rapide, qui fonctionnent au charbon, au fioul ou au gaz. Chaque éolienne injecte des milliers de tonnes de béton, d’acier, de carbone et de métaux rares dans nos campagnes préservées, ce qui suscite une contestation locale systématique qui ralentit les projets. D’où ce paradoxe : en France, la transition énergétique nous pousse à polluer plus. Il convient sans cesse de le rappeler : remplacer le nucléaire par des éoliennes et des panneaux solaires n’a rien à voir avec l’écologie, et revient à substituer à grands frais une énergie décarbonée par une autre. Induits en erreur par une désinformation constante, 70% des Français croient que l’énergie nucléaire contribue au réchauffement climatique, d’après un sondage BVA de 2019.

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C’est ainsi que l’écologie politique a dévalorisé aux yeux des Français un joyau national. Le pouvoir, à l’écoute de l’opinion publique, l’a délaissé. Les ingénieurs et les ouvriers – en particulier les soudeurs – les plus qualifiés et talentueux se sont orientés des filières plus attractives. Faute de chantiers, les anciens sont partis à la retraite sans transmettre leurs compétences. Entre temps, les énergies renouvelables, au développement laborieux et à la production erratique, ne sont pas parvenues à prendre la relève. D’où la situation actuelle. Mais l’opinion publique s’équilibre, l’atome regagne petit à petit des partisans, des personnalités politiques s’emparent du sujet. Il n’est pas trop tard pour que la France redevienne la grande puissance énergétique qu’elle était.

Antoine LIVIA