La régulation européenne des cryptomonnaies annonce-t-elle la fin d’une ère de liberté ?

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Le Parlement européen examine actuellement un projet qui entend réguler les marchés de cryptomonnaies, qui jusque-là s’étaient globalement développés sans entrave. Malgré des avancées indéniables, notamment pour la sécurité des investisseurs, c’est le principe même des cryptomonnaies, conçues comme un instrument libertaire permettant de s’émanciper de la tutelle des autorités publiques, qui est remis en cause.

« Les cryptomonnaies ne sont pas des monnaies. Point final. Ce sont des actifs hautement spéculatifs qui revendiquent le titre de monnaie. » La mise au point effectuée par Christine Lagarde, présidente de la Banque centrale européenne, en septembre 2021, illustre bien la position des autorités européennes. Ne lui en déplaise, les cryptomonnaies remplissent pourtant bien les trois fonctions traditionnelles dévolues à la monnaie depuis Aristote : intermédiaire des échanges, unité de compte et réserve de valeur. Au Salvador, le bitcoin a même été officiellement reconnu comme une monnaie ayant cours légal dans le pays. Face au danger que représentent ces monnaies d’un genre nouveau pour l’hégémonie des banques classiques, l’Union européenne ne se contente pas de la critique, et sonne la contre-attaque.

Un texte applicable sur l’ensemble du territoire européen

La Commission européenne a en effet proposé un projet de règlement visant à réguler les marchés de crypto-actifs, nommé MiCA. Le texte est actuellement en cours d’examen au Parlement européen au sein de la commission ECON, chargée des affaires économiques et monétaires. Il s’agit d’un règlement européen, c’est-à-dire un texte qui, une fois adopté, est directement applicable sur tout le territoire de l’UE. Certains États avaient déjà élaboré quelques normes nationales balbutiantes pour encadrer les crypto-marchés, comme la France où l’Autorité des marchés financiers peut contrôler les fournisseurs de crypto-services et leurs levées de fonds, mais son agrément reste optionnel, sauf cas précis. Dans la plupart des pays de l’UE, il n’y a pas encore le moindre cadre réglementaire en la matière.

Le règlement MiCA mettra avant tout en place une harmonisation de la législation des pays membres, ce qui permettra une concurrence loyale au niveau européen. Sans entrer dans le détail des 182 pages touffues et techniques du texte, ce dernier vise à soutenir l’émergence de marchés officiels de crypto-monnaies, et une plus grande diffusion de leurs technologies et principes dans la finance traditionnelle. Ensuite, le règlement entend assurer la protection du consommateur.

Cryptomonnaie sérieuse ou escroquerie ?

A l’heure actuelle, il est quasiment impossible pour l’investisseur de déterminer si une cryptomonnaie est sérieuse ou s’il s’agit d’une escroquerie, tout comme il ignore qui gère le projet et où il est basé. Pour éviter cela, les fournisseurs de crypto-actifs devront par conséquent obtenir un statut juridique, et fournir un livre blanc comportant des informations précisément définies, après agrément des autorités financières. Le livre blanc est le document public diffusé lors du lancement d’une nouvelle cryptomonnaie, qui définit les règles de son fonctionnement et de son développement. Il arrive effectivement que des profanes, bernés par la technicité de ce document, se fassent arnaquer, et perdent leurs investissements. Plus globalement, les fournisseurs seront étroitement surveillés par les autorités financières nationales, qui pourront prendre des sanctions pour réprimer toute une panoplie de délits financiers.

TIPS plutôt que DLT

Outre cette régulation, la BCE compte bien concurrencer les cryptomonnaies. Sous l’impulsion de Christine Lagarde, elle a annoncé en juillet dernier un projet pilote d’euro numérique, qui ne devrait pas aboutir à un lancement en bonne et due forme avant 2025. La nouvelle monnaie s’inspirerait des blockchains, mais évitera vraisemblablement la technologie des registres distribués (DLT), lui préférant la plateforme de virements instantanés TIPS, plus centralisée. L’euro digital combinerait la sécurité fournie par une banque centrale avec l’accès gratuit et instantané à un système de paiement permis par les cryptomonnaies privées.

Un problème de fond

En dépit des avantages réels à superviser des cryptomonnaies où les escroqueries existent, et qui peuvent servir à blanchir de l’argent, voire à financer le terrorisme, cette volonté régulatrice pose un problème de fond. Elle foule aux pieds le principe originel de la cryptomonnaie, qui était de créer un écosystème financier démocratique et décentralisé, débarrassé de l’emprise des intermédiaires institutionnels. Ces principes remontent à la publication du livre blanc du bitcoin, la première cryptomonnaie. Les banques centrales, voyant leur monopole leur échapper, ne pouvaient pas rester sans réaction, et les projets de régulation du secteur se multiplient dans le monde entier. Toutefois, ces régulations pourraient avoir comme effet de normaliser cette nouvelle technologie, et d’achever d’ancrer son usage dans la mentalité collective. Surtout, elles n’auront a priori pas pour effet d’empêcher de spéculer et de faire des bénéfices. Pour la grande majorité des investisseurs, l’essentiel est là.

Antoine LIVIA