Patrons marseillais : la fin du droit de cuissage

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Un professeur de médecine de renom, chef d’un service hospitalier à Marseille, a été condamné mercredi 24 novembre 2021 par la sixième chambre du tribunal correctionnel de Marseille à une peine de dix mois de prison avec sursis assortie de plusieurs sanctions financières. Il devra verser 2 500 euros de provisions à la jeune infirmière qui a été reconnue victime d’une « agression sexuelle », 2 500 euros de dommages et intérêts à l’Association européenne contre les violences faites aux femmes au travail et 1 500 euros au Conseil départemental de l’ordre des infirmiers.

Il ne s’agit pas d’un viol mais d’un baiser non consenti dans le bureau du patron qui avait tendance, il est vrai, à inviter les infirmières à prendre des cafés, ce qui en d’autres temps aurait été qualifié de « drague un peu lourdingue ». Il se trouve que cette fois, la vie de la jeune femme mariée a été bouleversée par cet épisode douteux et qu’il lui a fallu des mois pour s’en remettre. Elle a demandé réparation en justice et l’a obtenue au-delà même de ce qu’elle était en droit d’espérer.

Il n’est pas question pour nous, au Méridional, de citer le nom de ce patron qui a certes commis une faute mais ne doit pas pour autant être traîné dans la boue et stigmatisé comme un seigneur ayant droit de cuissage sur tout ce qui bouge.

Le procureur ne s’est d’ailleurs pas trop attardé sur cette affaire : « L’agression sexuelle est caractérisée, a-t-il indiqué. Un baiser sur la bouche a bien été imposé à cette jeune femme qui s’est retrouvée en état de choc, effondrée et hagarde. Elle n’a aucune tendance affabulatrice et elle ne majore pas les faits allégués. L’absence de lien hiérarchique avec l’auteur de ce baiser labial résulte de la loi mais il existe en réalité une autorité naturelle et médicale du patron sur les infirmières. Le patron exerce une sorte d’autorité révérencielle dont il ne doit pas abuser. » Et le magistrat de requérir six mois de prison avec sursis à l’encontre du professeur incriminé.

Le tribunal a donc salé l’addition. « Je ne sais pas ce qui m’a pris, j’ai fait une connerie », a reconnu le professeur. L’ennui, pour lui, c’est que les langues se délient aujourd’hui. La crainte d’un patron tout-puissant ne s’exerce plus comme par le passé. Célia, Alice, Charlotte et Mélanie, jeunes infirmières débutantes sont toutes sorties de l’ombre pour mettre en accusation le grand ponte qui les appâtait avec des cafés pour les circonvenir…

La décision du tribunal est en quelque sorte historique. Car si dans certains services (et pas seulement dans les hôpitaux) des femmes ont pu être séduites par leur patron, si elles ont subi des attouchements ou des relations sexuelles pour ne pas perdre leur emploi, si certaines internes ont parfois cédé aux exigences de leur maître de stage pour obtenir une bonne note, la condamnation de ce médecin a un immense intérêt pédagogique.

Les patrons, quels qu’ils soient, doivent définitivement oublier les traditions légendaires liées à ce qui était un droit de cuissage ou de jambage. Grosso modo, le seigneur s’octroyait le loisir d’avoir des relations sexuelles avec la femme d’un vassal ou d’un serf la première nuit de ses noces. Très longtemps, dans l’opinion, les mâles exerçant un pouvoir pouvaient s’inscrire dans la lignée des seigneurs médiévaux. Ils sauront désormais qu’en cas de dérapage, si minime soit-il, ils s’exposent à une peine carcérale.

José D’Arrigo, rédacteur en chef du Méridional