« Mémoires de paille et de soie » : vie et tradition au Japon

Enfants japonais en costume traditionnel au début du XXème siècle © WKMC

Le Japon que l’on connaît est bien souvent celui des films de l’après Seconde Guerre mondiale. Mais ce pays fascinant pour nous autres Européens, est pétri de sa culture ancestrale et de ses traditions. Saga Junichi, médecin, né en 1941, a eu l’idée de recueillir les témoignages des anciens : « Tous les jours, après ma journée de travail à la clinique, je parcourais la ville à pied, visitant l’une après l’autre plusieurs personnes âgées, un magnétophone portatif dans ma serviette. » Dans son livre « Mémoires de paille et de soie » (paru au Japon au début des années 1990, réédité en France il y a quelques mois notamment), il dépeint la vie quotidienne, intimement liée aux racines du passé.

Pendant 17 ans tout de même, l’auteur s’est attaché à effectuer un gigantesque travail autour des anecdotes recueillies dans ce village situé à moins de 100 km au nord de Tokyo.

Beaucoup de ses interlocuteurs sont nés à la fin du XIXème siècle ou au début du XXème siècle. Et eux-mêmes remontent encore le temps, se souvenant parfois de leurs grands-parents ! C’est tout le tableau d’une vie quotidienne de l’avant-guerre qui prend forme. Avec les décalages dans les repères vis-à-vis des nôtres : bien sûr, les Japonais parlent aussi d’ « avant-guerre », par rapport à la défaite de 1945, mais aussi de la guerre contre la Russie de 1905 ; contrairement à nous qui évoquons la ligne de la Grande guerre de 1914-1918.

Et pourtant, le rythme est-il si différent, à l’autre bout du monde, en ces premières décennies du XXème, le siècle de tous les changements ? Les machines n’ont pas encore envahi le paysage. Les fêtes, le travail des artisans, et même les habits… la vie du village tourne autour du culte et des traditions. Le titre des mémoires « de paille » fait allusion aux vêtements que se fabriquaient les paysans pour se protéger des intempéries.

Les souvenirs des anciens sont bien les choses les plus précieuses qui puissent être transmises, grâce auxquelles on peut saisir l’évolution des contextes. Un vieil homme se souvient ainsi des slogans qu’il apprenait, écolier, après la guerre russo-japonaise : « Se sentir en sécurité est le pire ennemi ! » ou encore « Après une victoire, serrez les mâchoires encore plus fort ! » ; leur autre guerre est aussi évoquée à travers les souvenirs des dernières nuits des « Kamikazes », destinés à partir pour les missions-suicides. Les femmes également, de la classe pauvre comme de la classe aisée, se rappellent leur jeunesse.

Ce n’est pas seulement la vie d’antan que les anciens racontent. Ils disent aussi leur étonnement devant la façon dont le monde a changé. Changement que certains fameux réalisateurs japonais, comme Ozu, n’ont pas manqué de souligner dans leurs films. Les rizières se sont transformées en autoroute, les gens peuvent voyager à l’autre bout du monde en quelques heures… Le livre de Saga Junichi est délicat comme un pliage d’origami, et son précieux travail de fourmi magnifiquement évocateur.

Jeanne RIVIERE

Saga Junichi, « Mémoires de paille et de soie », éditions Picquier, 408 pages, 9,50€.