Portrait de champion : le boxeur Yohann Drai, enfant de Bonneveine, Marseille-Thaïlande et retour

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Qui commence ? « Vas-y, toi. – Non, toi d’abord ». Nos champions ­­– ils sont deux ce jour-là – se disputent un peu pour savoir qui parlera de lui… en dernier. Dimitri Masson et Yohann Drai sont « comme des frères ». L’un a 36 ans, l’autre 30. Ce qui les rassemble : la boxe, la boxe thaï. Aujourd’hui, ils ont créé un club à Marseille, Origine Martial Arts. Tous les deux connaissent un parcours de vie différent, mais c’est bien là qu’ils se rejoignent : dans ce qui est à la fois une passion et un effort quotidien.

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Nous poursuivons notre discussion à bâtons rompus avec Yohann. Plus facile pour celui-ci de parler de ses aventures : on dirait bien que Dimitri Masson [cf notre précédent portrait] a remué bien des souvenirs de ce temps passé en Asie. Les deux compères partagent leur amitié, leurs souvenirs, et surtout leur art et leur passion pour la boxe.

L’enfant de Bonneveine

Yohann, lui, a commencé la boxe plus jeune que Dimitri, à 15 ans. Adolescent, il fait énormément de planche à voile. C’est à l’invitation d’un garçon du lycée qu’il tente les arts martiaux. Il commence par le sambo (qui regroupe, grossièrement, judo, boxe et lutte). Il prend vite de l’assurance : « Peu importe le physique : on se rend rapidement compte que faire peur et avoir des gros bras ne suffit pas. » L’avantage de commencer jeune, c’est l’acquisition des réflexes et des postures. « Quand tu commences enfant, tu es détendu sur le ring ensuite. Il faut juste faire attention à ne pas se prendre de coups dans la tête. »

« Au départ, je me faisais tabasser ; je n’étais bon qu’à prendre des coups. Un an plus tard, les mêmes gars me respectaient et faisaient attention à moi. » Il commence les combats. Un an et demi plus tard, il est champion de France en Alsace. Il enchaîne. Alors qu’il n’a pas 18 ans, il reste invaincu et a environ 25 combats à son actif. Mais à l’époque, le MMA n’est pas reconnu en France (la légalisation du MMA date seulement du 1er janvier 2020) ; de même que son équivalent, le pancrace.

Yohann Drai passe en pieds-poings et enchaîne les défaites, essayant de se placer à un niveau qu’il ne possède pas encore. « Je m’entraînais avec des Tchétchènes, très forts en lutte. » Mais sa persévérance paye, puisqu’à près de 18 ans, il devient champion de France de boxe thaï.

Scaphandrier ou boxeur ?

Un bac éco et six mois à la faculté de maths l’étiolent. Il passe une formation pour devenir scaphandrier (effectuer sous l’eau des travaux sur des bateaux). Parallèlement, il passe une heure à s’entraîner chaque soir. Mais cette routine est mise à mal par son départ sur les plates-formes pétrolières en Afrique.

Ayant mis de l’argent de côté, il part pour Amsterdam. Il y a là-bas de bons clubs et des professionnels. Pendant trois mois, il s’entraîne dur, apprend à travailler tous les aspects de la technique (le cardio etc.) et le mental. Mais la vie là-bas ne lui plaît pas : le froid et la pluie jouent sur son moral. Il rentre, part travailler quelques mois en Libye (nous sommes en 2014, juste avant l’explosion de l’aéroport de Tripoli). De retour en France, Yohann se rend bien compte que c’est à 20 ans qu’il doit choisir sa route ; après il sera trop tard. Raison ou folie ? Il choisit sa passion.

Saisir la chance

Un ami (également ami de Dimitri Masson) lui propose de partir pour la Thaïlande. Yohann saisit sa chance et est séduit : après 2-3 mois d’adaptation, il s’est adapté à l’atmosphère des camps, et commence à combattre. Il alterne victoires et défaites.

Son combat le plus difficile, il s’en souvient comme si c’était hier. Il était au Thaï Fight de Bangkok (qui accueille des événements). A la fin des trois combats précédents, les boxeurs étrangers étaient partis sur une civière… La pression est immense : « 10 000 personnes autour, qui encouragent les Thaï et crient contre moi… J’avais l’impression de jouer ma vie. » Il est défait face à un Thaï nommé Iquezang, qu’il retrouvera d’ailleurs à Paris quelques années plus tard, avec beaucoup plus d’assurance.

Quelques-unes des coupes gagnées par le champion © Le Méridional

En France, le Marseillais connaît le succès, notamment lors de la Nuit des Champions en 2015. Yohann a une assurance indéniable. Cela se voit lorsqu’il combat la star du Muaythai, Singmanee Kaewsamrit, qui défend alors sa ceinture mondiale WPMF des – 66,7kg. Il perd, mais a tout de même fait vaciller le géant, une fierté.

Le Fairtex

Il se fait repérer par une grosse écurie thaï, le Fairtex. On le teste pendant trois mois. « Je ne me suis jamais entraîné aussi dur. Je m’évanouissais parfois à la fin de la semaine. » Il part pour un combat en Chine au Kunlun Fight. Hôtel, suite, grande scène… Un entraîneur du Fairtex l’accompagne, et Yohann le sent : ce combat va déterminer s’il est pris ou non. « J’étais déterminé ; j’ai remporté le combat », sourit-il. Les succès s’enchaînent.

Les Thaï sont surentraînés. Yohann Drai, de son côté, commence à préférer le qualitatif au quantitatif. Son corps est à bout. Il part pour Abu Dhabi s’entraîner, reboxe, se fait briser la pommette. Il rentre à Marseille mais décide de ne pas lâcher. Les allers-retours entre l’Asie et la France se succèdent. Son genou reste fragile. En janvier 2020, il est prêt. Il n’a même jamais été aussi prêt. Mais… le covid impose ses marques, le combat prestigieux auquel il doit participer est annulé. Yohann décide de rentrer en France avant la fermeture des frontières.

L’idée s’installe dans son esprit de créer un club d’entraînement à Marseille. Et c’est fait aujourd’hui, avec Origine Martial Arts ! Le caillou dans la chaussure – et c’est ce que confiait également Dimitri – c’est la déception face au manque de reconnaissance de leur sport. « En Russie par exemple, quand tu es champion du monde, tu es adulé, tu as une maison, une voiture… ici, c’est l’indifférence. » Peut-être les choses changeront-elles dans les prochaines années.

« Tu as le cœur ou tu ne l’as pas »

Ce qui l’a fait arriver jusqu’ici ? Le cœur. « Soit t’as le cœur, soit tu l’as pas ; tu peux pas tricher sur ça. » Beaucoup ont tenté l’aventure, s’y sont d’abord cassé les dents et ont fini par renoncer. « La boxe, le MMA, ce sont des sports très complets : on doit être fort mentalement, techniquement, physiquement. Et ce sont aussi des sports ingrats : tu as de la chance ou pas, souvent. » La chance ? On dirait que Yohann Drai l’a dans le sang. La « bonne veine » de Marseille…

Thomas MOREAU