Portrait de champion : Dimitri Masson, « le turbulent » devenu champion du monde de boxe thaï

Le champion Dimitri Masson, à droite sur la photo. Au milieu, Yohann Drai. © Le Méridional

Qui commence ? « Vas-y, toi. – Non, toi d’abord ». Nos champions ­­– ils sont deux ce jour-là – se disputent un peu pour savoir qui parlera de lui… en dernier. Dimitri Masson et Yohann Drai sont « comme des frères ». L’un a 36 ans, l’autre 30. Ce qui les rassemble : la boxe, la boxe thaï. Aujourd’hui, ils ont créé un club à Marseille, Origine Martial Arts. Tous les deux connaissent un parcours de vie différent, mais c’est bien là qu’ils se rejoignent : dans ce qui est à la fois une passion et un effort quotidien. Comment les champions en sont-ils arrivés là aujourd’hui ? « J’avais un rêve, j’ai voulu le réaliser, je m’en suis donné les moyens », résume sobrement Dimitri Masson. Alors c’est lui qui prend finalement la parole.

« J’étais un jeune, disons… « turbulent », commence Dimitri. J’ai commencé la boxe à 22 ans, assez tard donc. » Venu plus ou moins par hasard dans un club de quartier de sa ville de naissance, Limoges, pour se mesurer à un adversaire coriace, il est très vite accroché. Mène son premier « assaut » (combat). Rencontre Wilfried Martin, boxeur déjà professionnel ; Dimitri devient son « sparring-partner », le pugiliste qui participe à l’entraînement d’un boxeur avant un combat.

Coup de cœur pour l’eldorado

A 23 ans, il part rejoindre un de ses entraîneurs en Thaïlande, l’eldorado de la boxe. « Nos vacances étaient décalées, j’ai dû me débrouiller tout seul pendant plusieurs jours, raconte le boxeur. Je ne parlais pas un mot de thaï, évidemment. La seule langue commune, c’étaient les poings. » Là-bas, il vit dans un « camp » où se rassemblent les boxeurs pour s’entraîner et combattre au quotidien. « La porte de ma chambre donnait sur le ring » : un tableau facile à imaginer.

Les vacances laissées par son travail en France dans un grand magasin de bricolage ne suffisent plus : à 25 ans, Dimitri Masson « choisit son camp » ; il sera l’un de ces électrons libres européens fascinés par la vie asiatique et sa culture de la boxe, en l’occurrence. Une vie qui était, et qui reste pour l’instant, impossible à vivre en Europe. « En France, tu ne peux pas vivre de la boxe. Il n’y a pas de statut de sportif de haut niveau », relève le boxeur avec de l’amertume dans la voix.

Quand il quitte son pays natal, Dimitri emporte dans ses bagages une cinquantaine de combats à son actif en France. Ce qui ne lui ouvre pas pour autant d’emblée le monde thaï. « Aujourd’hui, il est plus facile de s’intégrer. Il y a dix ans, j’ai vraiment dû faire mes preuves. La boxe thaï professionnelle, c’est là-bas, pas ici », souligne-t-il. Il rencontre le triple champion du monde Stéphane Nikiena, emporte trois victoires en trois combats.

Les ceintures de champion, au club. © LM

Un match nul avec un grand champion lui gagne le respect et le fait remarquer de grandes organisations. Il roule sa bosse et commence à se faire connaître. Boxer partout, à temps et à contretemps, dès que possible : « Passer une nuit dans la rue avant un combat, oui, ça m’est arrivé », dit-il avec un regard neutre. Un détail qui en dit long sur le monde de là-bas, si éloigné de la vie européenne bien rangée et confortable. Une vie pour ceux que hantent les combats toujours plus spectaculaires.

Une notoriété grandissante

Un épisode clé dans sa vie de boxeur se joue en 2013, lorsqu’il participe à une téléréalité autour de la boxe thaï (Thaï Fight). 32 boxeurs vivent ensemble dans un grand complexe hôtelier, passent des épreuves et combattent tous les 15 jours. Dimitri Masson sera battu en quarts de finale seulement. Plus tard, il affrontera la star mondiale Sudsakorn Sor Klimee : il perd face à son adversaire, mais gagne énormément en notoriété.

Une blessure au tibia l’oblige à se faire opérer en Thaïlande, mais le résultat n’est pas satisfaisant : un retour en France est donc bienvenu. Aussitôt réparé, il retourne à l’autre bout du monde, boxe dans son pays d’adoption, mais aussi en Chine, au Cambodge, en Birmanie. Il se souvient d’un combat dans ce dernier pays : « L’embargo venait d’être levé. C’était une ambiance très particulière. Une fois, je me suis retrouvé à boxer pour un moine qui était partisan d’exterminer les musulmans sur le territoire. Il arrivait qu’on soit obligé de combattre sans gants, avec des cordes autour des mains seulement. Et on le découvrait sur le ring. » En Chine notamment, il combat des stars de la discipline. Passe par Lumpinee, « La Mecque de la boxe thaï », un stade de boxe de Bangkok de renom. Quelques allers-retours entre l’Asie et l’Europe ne lui font pas oublier sa vie de « là-bas ». Un monde parallèle et grisant.

Le prix des efforts

Même si – on le comprend à l’écouter – Dimitri Masson n’est pas en quête des honneurs, il reçoit le juste prix de ses efforts. En 2015, le jour de l’anniversaire de la reine de Thaïlande, on lui remet sa première ceinture mondiale WPMF (World Professional Myaithai Federation) en 75 kg. Deux ans plus tard (après avoir dû se remettre d’une blessure au genou), il reçoit sa deuxième ceinture mondiale WMO en 79 kg (Worl Muay Thaï Organization), pour l’anniversaire du prince cette fois. De fait, il rejoint par là les plus grands de la boxe thaïlandaise.

Repéré par le célèbre camp thaïlandais Fairtex dans la ville de Pattaya, il y devient entraîneur. « Le Real Madrid de la boxe… », précise celui qui essaie de nous livrer des comparaisons compréhensibles à nos yeux d’Européens. Il est le seul entraîneur étranger du camp. Dimitri crée un programme d’entraînement (travail délicat). Après deux années passées au Fairtex, il part pour la Malaisie, entraîneur en chef de MMA.

Juste avant le covid, Dimitri devait boxer à nouveau au Cambodge, lors du ONE FC. Le ONE est la plus grosse organisation de sport de combat d’Asie, l’équivalent de l’Ultimate Fighting Championship aux Etats-Unis. L’événement, pour la première fois de son histoire, est annulé. Le retour en France s’impose. Mais l’aventure ne s’arrête pas là.

L’aventure marseillaise

Yohann Drai, notre autre champion, est, lui, un enfant de Marseille. Dimitri l’a rencontré lorsqu’ils se sont retrouvés dans le même camp. Ils se sont entraînés ensemble et ont noué des liens d’amitié très forts. Quand Yohann lui propose de le rejoindre à Marseille pour ouvrir un club de boxe (le fameux Origine Martial Arts, évoqué plus haut), il accepte. Il ne le cache pas : « Ça a été dur de rentrer en France, de se réhabituer à la culture. Et puis ici, sans être dans un grand club, c’est rare de pouvoir boxer au niveau professionnel, c’est pour ça que les gens comme nous s’expatrient. » Mais il ajoute avec un demi-sourire, et on en est fier : « Franchement, si je n’avais pas débarqué à Marseille, je n’aurais pas tenu. L’ambiance d’accueil m’a plu et je me sens bien dans la ville. »

Comment a-t-il pu, physiquement et mentalement, relever autant de défis durant toutes ces années ? lui demande-t-on, en s’excusant presque de l’interrompre dans ses pensées lorsqu’il se tait, manifestement songeur. « La boxe, c’est beaucoup de sacrifices pour peu de reconnaissance. Si tu n’es pas passionné, c’est très dur. Tu n’imagines pas le travail à mener pour un seul combat », conclut-il, en nous regardant droit dans les yeux. Et il y a tout ce qu’il garde pour lui, tout ce qu’il n’a pas eu le temps de nous décrire, alors imaginez un peu… Sa vie, on aimerait en faire un livre.

Bientôt, le portrait de Yohann Drai, notre Marseillais.

Thomas MOREAU