« Campagne » : une analyse de l’incompréhension entre ruraux et néo-ruraux

© Albin Michel

La crise due au Covid a sans doute assuré un certain « retour en grâce » de la « campagne », plus prosaïquement, du « monde rural », comme on dit. Mais tout comme l’exode rural d’après-guerre avait été un choc pour bien des villages, l’arrivée de nouveaux habitants dans les années 70 (notamment les partisans du retour à la terre) puis ces dernières années, n’a rien d’évident. L’action du roman de Matthieu Falcone (éditions Albin Michel) : une façon d’analyser la vie en société à travers l’observation d’un microcosme en 2020, reflet aussi des travers de la nature humaine. Nous avons rencontré l’auteur, qui vit aujourd’hui en Provence.

C’est un narrateur à la première personne qui nous introduit dans l’ambiance pesante de « Campagne ». Pesante, car on comprend dès le début du roman qu’un drame s’est déjà joué, et qu’une épée de Damoclès pèse sur le sort de ce « Robert ». Qui parle de façon mi-blasé, mi-triste, presque étonné aussi de tout ce qui est arrivé en si peu de temps.

Aucun village n’est sans histoires, comme des touristes de passage pourraient le croire au premier abord. Tout le monde se connaît plus ou moins. Les lieux comme les habitants ont leurs secrets, leurs histoires de famille et leurs disputes dont l’origine se perd dans la nuit des générations.

Et puis, dans ce village du côté de Périgueux (inspiré de celui dans lequel Matthieu Falcone a vécu dix ans), il y a les jeunes pleins d’idées. Savants du savoir des livres sur la façon de planter les tomates, méprisants de la génération des anciens qui ont gavé la terre de pesticides et ont mené la planète vers sa perte. Une accusation très façon Greta Thunberg, qu’on n’a aucun mal à reconnaître dans les discours d’aujourd’hui.

© Le Méridional

Dans le village, ces néo-ruraux ne se contentent pas – plus – de la vie d’avant. Ils veulent un monde de paix, de liberté totale, prétendent goûter au « slam poétique ». Un côté très « France Inter », souligne l’auteur avec un demi-sourire (apparemment, la seule radio captée dans bien des coins reculés !) De là leur naît l’idée d’organiser un grand « raout », une « fête des Solidarités » qui ferait du village la définition de cet idéal. L’intrigue suit le fil rouge de la préparation de cette initiative, encouragée par les uns, moquée par les autres (cf le discours du « Fou » du village, un marginal qui vomit ce monde d’inepties). Les personnages se croisent, se rejoignent, s’opposent la plupart du temps, dans le roman. Et quand les « néo-ruraux », croisement bâtard entre les slogans citadins d’aujourd’hui et les aspirations soixante-huitardes, noyautent la vie d’un village, les incompréhensions sautent aux yeux.

Pourquoi avoir choisi ce cadre pour l’intrigue ? « On ne se rend pas compte des différences qui existent entre le monde de la ville et celui de la campagne ; un rythme de vie complètement différent, décalé par rapport à celui des villes », insiste l’auteur. Les campagnes constituent encore aujourd’hui la majorité du territoire national, et on peut dire qu’il est ignoré (aux deux sens du terme) de la plupart des Français.

La langue du narrateur, influencée par son regard, est à la fois indécente, triviale et profonde. Empreinte, à certains moments, d’une certaine poésie. Tout n’est pas noir, mais Matthieu Falcone brosse un portrait cynique – drôle, aussi, des rapports humains, de leur mélange de bassesse et de beauté. Un roman fascinant.

Jeanne RIVIERE

« Campagne », Mathieu Falcone, Albin Michel, août 2021. Matthieu Falcone a publié également « Un bon Samaritain », en 2018, aux éditions Gallimard.