Aurore Bruna : « Soutenir l’Arménie, c’est défendre le droit à l’autodétermination des peuples »

Aurore Bruna © Luiza Gragati

Aurore Bruna est présidente de l’Union Générale Arménienne de Bienfaisance (UGAB), élue et citoyenne engagée du territoire sud, professeur d’histoire et de géographie. Le Méridional a eu la chance de pouvoir l’interroger sur les différents sujets qui lui tiennent à cœur.

Le Méridional : Aurore Bruna, vous êtes la nouvelle présidente de l’Union Générale Arménienne de Bienfaisance (UGAB) de Marseille. Quel rôle joue la communauté d’origine arménienne aujourd’hui en Région Sud ? Quels liens perdurent entre l’Arménie et le territoire marseillais ?

Aurore Bruna : Les Français d’origine arménienne sont pleinement investis en Région Sud, que ce soit dans le milieu associatif, celui de la santé, de l’économie, du commerce, de la culture… Sans oublier nos origines, nous sommes provençaux, alpins, azuréens. Nous donnons le meilleur de nous-mêmes pour valoriser la Terre de France qui a accueilli les rescapés du génocide des Arméniens et qui est aujourd’hui totalement la nôtre. 100% Français, 100% Arménien, comme disait Charles Aznavour, qui a d’ailleurs reçu un hommage national par la France.

Les liens qui perdurent entre l’Arménie et la France sont très forts. Le cœur de la diaspora arménienne bat à l’unisson du peuple arménien. Etant donné l’actualité avec la guerre en Arstakh, nous avons tous œuvré de concert ces derniers temps dans des actions humanitaires. L’humanitaire, c’est le but premier de l’Union Générale Arménienne de Bienfaisance – UGAB. Nous avons envoyé des volontaires en Arménie pour distribuer des colis alimentaires et des produits de première nécessité pour aider les réfugiés du conflit. Aujourd’hui, nous allons évidemment poursuivre l’aide humanitaire. Nous avons également hâte de retrouver les activités culturelles et festives au sein de notre centre ainsi que le plaisir de renouer un vrai lien social, qui nous a cruellement manqué pendant cette crise sanitaire. 

L.M : Vous êtes professeur d’histoire et de géographie à Marseille. Considérez-vous comme essentielle la transmission de la mémoire des grands drames, notamment ceux du XXe siècle ? Comment réagissez-vous face à la volonté de destruction du patrimoine chrétien sur le territoire confisqué par l’Azerbaïdjan?

A.B : Frédéric Mistral disait que pour grandir, un arbre a besoin de racines profondes. Je considère la transmission de la mémoire comme essentielle, indispensable. C’est à l’aune de l’Histoire que l’on doit analyser le monde. On ne peut espérer construire un présent et un futur apaisés qu’en tirant les leçons de notre passé, afin de ne pas reproduire les mêmes erreurs. Mais force est de constater que nous n’y sommes pas encore. Les études récentes montrent que la jeunesse connaît mal les crimes contre l’humanité et les génocides du XXe siècle. Dans notre société actuelle où l’on observe une recrudescence de l’antisémitisme, du racisme et du négationnisme, nous avons besoin de repères et de valoriser notre mémoire collective pour nous sentir appartenir à un tout.

L’enseignement de l’Histoire doit être la clef pour améliorer le bien vivre ensemble et la connaissance du monde. La mission de l’éducation est de former de futurs citoyens éclairés. C’est pourquoi j’avais proposé à l’Education nationale la mise en place de formations à destination des professeurs sur « comment enseigner le génocide des Arméniens ? » L’article du JDD du 18 avril 2021 a mis en exergue les nombreux cas de négationnisme auxquels les enseignants doivent faire face. L’Education nationale doit les accompagner.

Le mémorial du génocide à Erevan © DR/Le Méridional

Le génocide des Arméniens a également été un génocide de la pierre, de la culture, de plus de 3 000 ans d’histoire. Et lorsque je disais plus haut qu’il faut tirer les leçons de l’Histoire pour empêcher qu’elle ne se reproduise, nous sommes en plein dedans. Aujourd’hui, rien n’a changé : l’Azerbaïdjan détruit sciemment le patrimoine chrétien arménien afin de pouvoir par la suite contester la présence arménienne ancestrale sur les terres du Haut-Karabagh. On l’a vu avec les bombardements des églises pendant le conflit et aujourd’hui avec la transformation de la cathédrale de Chouchi. C’est un scandale mais ce qui est le plus terrible c’est le silence assourdissant de la communauté internationale. L’Unesco doit réagir car ce patrimoine appartient à l’humanité!

L.M : Votre engagement citoyen s’opère à plusieurs niveaux. Vous êtes conseillère municipale ; vous êtes également sixième de liste aux élections régionales derrière Renaud Muselier. En quoi pensez-vous qu’il est important que les élus soutiennent l’Arménie dans le conflit contre l’Azerbaïdjan ?

Effectivement, dans le cadre de l’ouverture des listes à la société civile, je suis devenue conseillère municipale dans l’équipe de Martine Vassal et aujourd’hui candidate sur la liste du président de la Région Sud Renaud Muselier. Ce sont deux personnalités qui ont de l’expérience et la maîtrise de leurs dossiers comme le montrent leurs bilans.

S’engager dans le soutien à l’Arménie et à l’Arstakh dans ce conflit, c’est défendre le droit à l’autodétermination des peuples. C’est simplement permettre à une population de vivre libre et en paix dans la république démocratique du Haut-Karabagh. Ce n’est pas la décision de Staline, qui en 1921 a donné cette terre à l’Azerbaïdjan, qui doit faire loi. Faut il rappeler le président Wilson pour amener la communauté internationale à prendre position ?

Les élus ont un rôle à jouer et ils l’ont fait. Quelle que soit leur tendance politique d’ailleurs. Ce qui montre bien que c’est une cause juste, qui transcende tout clivage. On a vu de nombreux vœux demandant à la France de reconnaître la République Démocratique du Haut-Karabagh à travers les différentes collectivités territoriales mais également le vote de l’Assemblée nationale et du Sénat. Le parlement étant l’émanation du peuple, il faut maintenant que le président de la République se saisisse de ce vote et qu’il reconnaisse l’Arstakh afin de le protéger et de protéger sa population. La France a toute sa place puisqu’elle fait partie du Groupe de Minsk, seul habilité à résoudre le conflit par la négociation diplomatique et non par la violence au mépris du droit international.

L.M : Que répondez-vous aux récents propos de Thierry Mariani soutenant l’Azerbaïdjan ?

A.B : Nous connaissons le tropisme de Thierry Mariani pour l’Azerbaïdjan. Lorsqu’il prétend si froidement que le Haut-Karabagh est une terre azérie, j’ai justement envie de lui rappeler le droit à l’autodétermination des peuples. La seule revendication des Arméniens est le droit de vivre libres et en paix. Thierry Mariani défend la décision de Staline d’avoir donné l’Artsakh à l’Azerbaïdjan ? Nous n’avons pas les mêmes valeurs.

Il me semble assez malhonnête de se faire le chantre de la défense des chrétiens d’Orient et de se taire lorsque les Arméniens se font massacrer en Arstakh alors qu’ils défendent leur terre ancestrale. C’est une instrumentalisation de la religion qui n’a pas d’autre but que d’opposer les populations.

Lorsqu’il nie les crimes de guerres azéris, je l’invite à regarder les vidéos qui montrent les bombes au phosphore blanc tomber, à voir les maternités, les églises et les civils bombardés, les mutilations sur les cadavres des soldats. C’est une insulte aux souffrances de ces victimes.

Le monastère Saint-Grégoire de Tatev, au sud-est de l’Arménie © DR/Le Méridional

Et justement, lorsque le Parlement européen a présenté une résolution pour la libération des prisonniers toujours retenus dans les prisons azéries au mépris du droit international, le député européen Thierry Mariani n’a pas pris part au vote. La cause n’est-elle pas assez juste ? Et aujourd’hui, alors que les troupes azéries sont en Arménie, pays reconnu internationalement, il ne dit toujours rien ?

Lorsque je lis son tract où il se vante d’avoir voté la première loi de pénalisation de la négation du génocide des Arméniens de 2006, mais qui croit-il leurrer ? Nous savons bien que lors de la seconde loi de pénalisation de Valérie Boyer en 2011, son suppléant Paul Durieu a fait partie des parlementaires qui ont demandé la saisine du Conseil Constitutionnel qui a ensuite retoqué cette loi.

Mais cette position dépasse le cadre arménien. Comment peut-il soutenir un Etat qui engage des djihadistes dont la présence a été reconnue par le président de la République française ? Monsieur Mariani a-t-il oublié les attentats du Bataclan, de Charlie Hebdo, de Nice ? Pour un candidat aux élections régionales qui ne cesse de parler de sécurité, cela me semble assez étrange.

Pour ma part, Renaud Muselier est le candidat que je soutiens car il a été un excellent président pour la Région Sud Provence-Alpes-Côte d’Azur, mais également parce que ses convictions et ses valeurs sont diamétralement opposées à celles de Thierry Mariani.

Propos recueillis par Raphaëlle PAOLI