Droits TV : le jeu dangereux de la Ligue de Football Professionnel

Jeff Bezos, fondateur d'Amazon © WKMC

Amazon se lance à la conquête du sport en France. Après avoir obtenu les matches de Roland-Garros en nocturne, Amazon vient d’obtenir 8 matches sur les 10 possibles pour diffuser la Ligue 1. Canal+ devait récupérer les deux matches restants qui correspondent au lot 3 de l’appel d’offres. Mais le groupe a décidé de se retirer, frustré d’avoir été doublé par Amazon dans les négociations.

Le positionnement du groupe Canal peut se comprendre. Partenaire historique de la Ligue 1, la chaîne s’était vue doublée par Mediapro en 2018 pour une somme utopique. La gloutonnerie des dirigeants de la LFP (Ligue de Football Professionnel) les avaient empêchés de voir que Mediapro ne pourrait pas tenir ses échéances, là où Maxime Saada, le directeur général de Canal+ l’avait prédit. Le groupe en garde une rancœur envers la Ligue.

Canal+, de sauveur à dindon de la farce

A la suite de ce fiasco, Canal+ avait accepté de récupérer une partie des droits TV de la saison 2020-2021 afin de sauver les clubs de Ligue 1. Mais la question de la diffusion de la Ligue pour les trois prochaines années restait à élucider. Canal+ était alors en négociation avec la LFP. Le groupe proposait 673 millions d’euros par an jusqu’en 2024 pour la diffusion des matches. Néanmoins, avec une partie sous-condition du nombre d’abonnés. Cette offre ne satisfaisait pas la LFP, qui a préféré se tourner vers Amazon. Le géant américain récupère ainsi 8 matches sur 10 pour la somme de 250 millions d’euros. De son côté, Canal+ récupère les deux autres matches pour 332 millions d’euros. Une somme inacceptable pour Canal et Maxime Saada. Ce dernier ne digère pas le fait de devoir payer plus cher qu’Amazon pour seulement 20% des matches.

Canal a donc décidé de se retirer. Maxime Saada a annoncé qu’il ne diffuserait pas les matches. Le lot devait donc revenir à BeIN SPORTS. Mais la chaîne se montre pour l’instant solidaire avec son homologue en refusant de payer aussi cher : « Nous avons toujours soutenu Canal sur ce point depuis le début, y compris dans les deux affaires judiciaires. Il n’y a aucune chance pour que notre groupe paie 330 millions pour ce pourcentage », aurait précisé une source proche de BeIN SPORTS. Le problème est que Canal se retrouve dans une impasse. Les 332 millions pour 2 matches de Ligue 1 sont l’héritage de l’appel d’offres de 2018. La chaîne est donc engagée contractuellement. Malgré les grandes déclarations du groupe, celui-ci se trouve pieds et poings liés. Sauf à entrer dans une guerre de tribunaux sur le long terme et à se mettre « hors la loi » en ne payant ni diffusant ces fameuses rencontres. La LFP, par son incompétence, fait aujourd’hui payer Canal et les abonnés.

Quelle visibilité pour la Ligue 1 sur Amazon ?

Avec son choix de faire confiance à Amazon, la LFP sauve les meubles à court terme. Amazon est un partenaire solide qui paiera ce qu’il doit. Cette solution permet aussi de sortir du tête à tête avec Canal. Elle mise également sur l’avenir, ce genre de plateforme (Amazon Prime, Netflix, Disney+) ayant le vent en poupe. Mais qui va regarder la Ligue 1 sur Amazon ? Ceux qui sont déjà abonnés à la plateforme ? Ou bien les fans des clubs français qui vont s’abonner tout exprès ? Rien n’est moins sûr pour le moment. Une source proche de BeIN SPORTS émet l’avis que peu de gens suivront la Ligue 1 : « Peu de gens regarderont la Ligue 1 ! Par exemple, le tournoi actuel de Roland-Garros a réuni en moyenne 100 000 téléspectateurs. » En effet, les matches de tennis diffusés le soir sur Amazon Prime n’ont pas connu un franc succès. Qu’en sera-t-il pour la Ligue 1 ? Notre championnat risque de perdre en visibilité. Les spectateurs en ont assez de devoir sans arrêt changer d’abonnement ou de les multiplier pour pouvoir suivre le championnat. Dépités, ils cesseront de suivre le foot ou se tourneront vers d’autres championnats.

La LFP joue donc un jeu dangereux en donnant les droits à Amazon jusqu’en 2023. Si les spectateurs ne se trouvent pas au rendez-vous, Amazon ne renouvellera pas le partenariat. De plus, Amazon semble chercher à attirer de nouveaux abonnés plutôt que vouloir construire un partenariat solide sur du long terme. Canal+, qui dans cette histoire se sent lésé, ne risque pas de vouloir revenir dans la danse, surtout si le groupe arrive à vivre sans la Ligue 1. L’avenir de l’économie du football en France apparaît aujourd’hui toujours aussi incertain.

Mayeul LABORDE