David Galtier et la fabrique des innocents

Invité par le lieutenant-colonel Constantin Lianos à s’exprimer devant une assemblée clairsemée (Covid oblige) au siège marseillais de l’association nationale des anciens combattants de la Légion Etrangère, le général d’armée David Galtier, récemment élu vice-président de la métropole Aix-Marseille, a présenté son excellent ouvrage intitulé « Mon combat contre le crime » et surtout il a passionné ses auditeurs durant près de deux heures grâce à ses talents d’orateur.

Sa nouvelle carrière politique sera-t-elle couronnée, elle aussi, de succès ? Il est trop tôt pour le dire, mais le général semble d’ores et déjà affligé par le manque de moyens qui lui sont octroyés au regard de ceux qui étaient les siens dans la gendarmerie (il partage une demi-secrétaire avec un autre élu pour s’occuper des 92 communes de la métropole !)

Le général est revenu sur de nombreuses affaires, résolues ou pas, et il a clairement donné son opinion sur le meurtre en 1984 du petit Grégory, quatre ans. Cet assassinat a bel et bien été élucidé en son temps par les gendarmes grâce à l’audition de Muriel Bolle, la belle-sœur de Bernard Laroche, lequel fut abattu l’année suivante par le père du petit Grégory, Jean-Marie Villemin. Elle a naïvement confié aux gendarmes qu’elle est partie en voiture avec son fils Sébastien et Bernard Laroche et qu’elle a assisté en direct à l’enlèvement du petit garçon qui jouait devant son domicile : « Bernard est parti avec le petit vers la Vologne et il est revenu tout seul ».

Un témoignage accablant. Le bébé a-t-il été jeté dans la rivière ou bien a-t-il été étranglé au préalable, nul ne peut le dire car les traces ont été polluées et l’analyse ADN à l’époque n’avait pas cours. C’est la requête en suspicion légitime déposée contre les gendarmes ayant procédé à cette audition révélatrice pour « pressions et extorsion d’aveux » qui a tout fait capoter et empêché une rapide résolution du dossier. Comme d’habitude, c’est la « justice médiatique » qui a triomphé de la justice.

L’affaire Omar Raddad, ce jardinier marocain qui dilapidait son argent au jeu et avec des prostituées, a elle aussi été parasitée par les médias qui ont contribué à « fabriquer un innocent » de toutes pièces. Car, une nouvelle fois, les gendarmes saisis de l’affaire ont eu rapidement la conviction pleine et entière que Omar Raddad était bien l’assassin de sa patronne Ghislaine Marchal dans le sous-sol de sa villa de Mougins. Mobile : Raddad lui réclamait en vain toujours plus d’argent pour assouvir ses vices et Mme Marchal refusait de lui en donner.

Alors il l’a tuée dans sa cave à coups de chevrons sur la tête alors qu’elle était descendue régler son dispositif de piscine. Mais comme elle n’est pas morte tout de suite, elle a eu le temps d’écrire à l’aide de son propre sang le fameux message : « Omar m’a tuer » (avec un « r ») sur le mur puis un autre sur la porte, après avoir pris l’ultime soin de se barricader, « Omar m’a t… » La malheureuse s’est éteinte avant d’achever d’écrire avec son index droit ensanglanté le nom de son tortionnaire.

On connait la suite : un académicien (Rouart) qui se prend pour Emile Zola et veut rejouer l’affaire Dreyfus, un avocat gauchiste (Vergès) en mal de sensations fortes et la quasi-totalité des médias mobilisent tous leurs appuis pour faire de Raddad un innocent aux mains sales. Et ils gagnent ! Car dans l’esprit des Français moyens, c’était bel et bien une erreur judiciaire, le jardinier était un coupable idéal, un gendre parfait, bref un type bien…

J’ai été moi-même contacté directement à Marseille par Jean-Marie Rouart du Figaro qui souhaitait influencer mon jugement sur l’affaire et comme je ne l’ai pas écouté, il a fait pression sur ma hiérarchie pour me décharger de l’affaire et il a réussi ! Prisonnier des obligations de la France envers l’Afrique et de son amitié indéfectible avec le roi Hassan II du Maroc, le président Chirac a gracié quelques années plus tard l’assassin pourtant dûment condamné par la justice française pour cet horrible assassinat. Ces « procès en dehors du procès » contribuent, hélas, à discréditer durablement la justice française.

Dans ces deux affaires hyper-médiatisées, les gendarmes ont été éreintés par des journalistes et des avocats partiaux ou obnubilés par leur idéologie. Je pense qu’il serait temps de légiférer en France pour contraindre les médias à respecter leur mission de vérité et de neutralité en engageant, s’il le faut, leur responsabilité pénale. Mais le général David Galtier n’est pas de cet avis car, souligne-t-il, la liberté d’expression est un principe sacré de notre république.

Le laxisme scandaleux de la justice

Le général Galtier a également évoqué plusieurs affaires qui se sont soldées par un fiasco judiciaire en raison du laxisme scandaleux des juges. Par exemple, les gendarmes ont la certitude absolue que Willy Bardon a bien pris part en 2002 à la séquestration et au viol d’une jeune banquière de 24 ans près d’Amiens, il a été condamné à la réclusion criminelle à perpétuité et…il a été libéré quelques mois plus tard par la chambre de l’instruction à la faveur d’arguties juridiques !

Autre exemple éloquent : l’incroyable verdict de la cour d’assises de Paris chargée de juger les preneurs d’otages somaliens du « Ponant » en avril 2008 : non seulement deux des accusés ont été acquittés, mais ils ont obtenu 90 000 euros d’indemnités pour « détention abusive » ainsi qu’un titre de séjour. Explication : les droits individuels, les délais de rétention et la législation internationale priment dans cette affaire sur la souffrance des victimes…

Dans certaines affaires sexuelles pouvant toucher des personnalités, comme celle dite des « disparues de l’Yonne », la justice n’est pas exempte de tout reproche. Le général Galtier révèle dans son livre que deux carnets contenant la liste des adeptes de soirées très spéciales ont mystérieusement disparu du palais de justice d’Auxerre. Qui les a dérobés, avec quelles complicités et pourquoi ? Le général nous a laissés deviner la réponse. Il a indiqué qu’il n’était pas favorable à la castration chimique de ces violeurs récidivistes car la plupart du temps, selon lui, il s’agit d’impuissants.

De même, il révèle les étonnantes complicités de Paul Touvier, le milicien en cavale, qui était un « séducteur né », un beau parleur capable d’embobiner Jacques Brel, Pierre Fresnay et le ministre résistant Edmond Michelet, mais qui a fini par être arrêté grâce à l’action opiniâtre de la gendarmerie.

A la fin de son ouvrage, le général Galtier décrit les efforts désespérés du pilote de la Germanwings pour réintégrer le cockpit de l’A 320 reliant Barcelone à Dusseldorf où Andréas Lubitz, son copilote devenu fou furieux s’était enfermé pour précipiter l’appareil contre la montagne des Alpes avec 150 jeunes passagers à bord. Les précautions antiterroristes qui ont conduit à cadenasser le cockpit ont été abolies en France à la suite de cet accident dramatique.

Reste « la » question la plus délicate, posée avec tact et intelligence, par le commissaire divisionnaire Claude Dupont : celle des rapports parfois tendus entre les gendarmes et les policiers. Le général Galtier a admis que certaines luttes d’influences pouvaient nuire à l’efficacité du maintien de l’ordre et des enquêtes judiciaires mais ces frictions appartiennent au passé et la partition des forces de l’ordre entre militaires et policiers demeure une tradition française à laquelle on ne doit surtout pas déroger, même si elles sont placées aujourd’hui sous l’égide commune du ministère de l’Intérieur.

José D’Arrigo

Rédacteur en Chef du « Méridional »

Mon combat contre le crime, David Galtier, ed. Robert Laffont