Une découverte historique du Dr. Juan Iovanna Marseille : le cancer du pancréas n’est plus invincible

« Désolé, Monsieur, vous mangez trop, vous buvez trop et vous fumez trop. Vos douleurs lancinantes à l’estomac et votre jaunisse ne sont pas liées à un mauvais fonctionnement de vos intestins. Vous souffrez d’un cancer du pancréas. »

Le diagnostic du médecin est sans appel. L’annonce est rude, le choc est brutal. Le patient est sonné, il ne peut plus articuler un mot. Il sait. Oui, il sait comme tout un chacun, que le cancer du pancréas est un des plus agressifs qui soit et que son taux de survie n’est que de 6 % à cinq ans, ce qui revient à dire que la grande majorité des personnes atteintes de ce type de tumeur maligne décède avant cinq ans…

Donc, dans l’état actuel de la recherche médicale et médicamenteuse, ce malade prévenu sans ambages par son oncologue sait qu’il va probablement mourir avant 2025…comme la plupart des 14000 nouveaux cas recensés chaque année en France au sein de la population âgée. 

Cependant, une petite lueur d’espoir s’est allumée dans la nuit tumorale pancréatique. Grâce à un médecin obstiné, pugnace, qui a livré durant vingt ans un combat sans merci contre les cellules malignes du pancréas. Il s’appelle Juan Iovanna. Il est d’origine italienne et argentine et s’est installé à Marseille en 1983 en s’inspirant des travaux d’un des pionniers de la discipline, le professeur Henri Sarles qui avait fondé à l’hôpital Sainte Marguerite « l’école du pancréas ». Il n’est jamais plus reparti. Avec ses 60 collaborateurs du centre de recherche en cancérologie de Marseille, Juan Iovanna et son équipe ont tellement fait progresser les investigations scientifiques dans ce domaine que la perspective d’un traitement efficace du cancer du pancréas dans moins d’une décennie n’est plus une utopie, mais une réalité.

10 cancers : 10 maladies différentes

« Le problème majeur qui se posait aux chercheurs, explique le Dr.Juan Iovanna, c’est qu’ils pensaient avoir toujours affaire à la même tumeur. On se penche sur dix cas de cancer du pancréas et l’on croit que ce sont dix cas identiques. C’est faux. Nous avons pu déterminer qu’il s’agit dix fois d’une maladie différente. »

En réalité, « le » cancer du pancréas n’existe pas. Il y a autant de cancers du pancréas que de personnes touchées par ces cellules malignes. Le seul traitement curatif de ce cancer, c’est la chirurgie. On opère une résection de la partie du pancréas sur laquelle la tumeur s’est développée. Encore faut-il que le pronostic soit assez précoce pour éviter la propagation de métastases à d’autres organes.

Les autres thérapies expérimentées jusqu’ici sont hélas souvent lourdes et n’ont qu’un effet palliatif. Certes, depuis une vingtaine d’années les perspectives de survie se sont améliorées puisqu’elles sont passées de deux ans à cinq ans, mais force est de reconnaître que sur dix cancers du pancréas, un patient meurt dans les trois mois, quatre décèdent dans les six mois et cinq survivent parfois jusqu’à cinq ans.

Ce qui a intrigué le Dr. Iovanna dès le départ, c’est « l’hétérogénéité tumorale », c’est-à-dire l’impossibilité de réduire ce type de tumeur à l’aide d’un seul médicament. « Nous nous sommes évertués à comprendre pourquoi le même traitement  ne faisait sentir ses effets que dans 10 % des cas alors que 90 % ne répondent pas, souligne le chercheur, si neuf sur dix ne sont pas concernés par le médicament proposé, c’est que toutes leurs tumeurs sont différentes». CQFD.

Il a fallu lutter à la fois contre le fatalisme ambiant et contre l’image mortifère du cancer. Fort heureusement, le Dr Iovanna et son équipe ont été aidés par des partenaires financiers tels que la Ligue contre le cancer, l’Institut Paoli Calmettes (qui abritera bientôt leur laboratoire sur 4500 mètres carrés), le pôle anti-cancer de la région sud, l’institut national du cancer et l’institut national de la santé et de la recherche médicale.

    Démasquer les cellules cachées

L’arsenal médicamenteux mis à la disposition des médecins n’était pas satisfaisant. Dans le meilleur des cas, la combinaison de trois médicaments permettait de stabiliser la tumeur mais pas de l’éradiquer. « La totalité des cellules malignes n’écoutaient pas ce que la drogue leur disait », regrette le Dr. Iovanna. De fait, la difficulté essentielle pour les chercheurs est de parvenir à démasquer les cellules qui jouent à cache-cache avec le système immunitaire pour éviter d’être broyées.

Si l’on est parvenu à guérir de nombreux cancers du poumon ou de la peau grâce à « l’immunothérapie », il n’en est pas de même pour l’instant du cancer du pancréas, un petit organe qui demeure profondément enfoui derrière l’estomac et se blottit contre l’intestin. Tout se passe comme si les cellules infectieuses dissimulaient volontairement leur malignité pour ne pas être mangées par le système immunitaire.

Le traitement consiste alors à augmenter l’immunité de l’organisme et sa résistance naturelle par l’injection d’anticorps ou d’antigènes appropriés. On oblige en quelque sorte la cellule maligne à subir un « stress » et l’on établit un catalogue des diverses réponses à l’agression permettant d’assurer sa survie.

Le laboratoire dirigé par le Dr. Iovanna a traqué sans relâche les cellules cancéreuses pour comprendre leur ressort vital. Les tumeurs de 200 patients atteints d’un cancer du pancréas depuis 2011 ont été récupérées. Les chercheurs ont implanté ces tumeurs sur des souris « immunodéprimées », c’est-à-dire incapables de se défendre contre l’agression que provoque la tumeur implantée. Ils ont analysé l’évolution de chaque tumeur, ils ont enregistré leurs mutations successives, ils ont repéré les modifications des protéines et des gènes, et c’est ainsi qu’ils ont pu établir une cartographie biochimique, génétique et moléculaire des cancers du pancréas en vue d’un traitement « à la carte », susceptible de fournir une médecine personnalisée pour chaque patient.

    Iovanna a trouvé la bonne cible

Un véritable champ d’investigations pancréatiques a été défini avec des groupes de réponses pour chaque médicament ou combinaison de drogues. Le mérite de Juan Iovanna est d’avoir trouvé la bonne cible, celle qui s’adapte à chaque patient. « Vous pouvez avoir une cellule à cheveux longs, une autre à souliers marrons, une troisième barbue, et pour chacune d’elles le traitement sera différent », explique le médecin.

Ce qui est certain, et c’est historique, c’est qu’en 2025 chaque patient pourra être traité à la carte et que son pronostic vital sera significativement amélioré.

Dans tous les cas, c’est l’état de la tumeur primaire qui va permettre de déterminer le temps de développement de la maladie. C’est ce qui s’est passé avec le cancer du sein dont la détection rapide a permis la guérison d’un grand nombre de femmes naguère condamnées. En ce qui concerne le pancréas, le défi a consisté à inactiver le gène meurtrier, le « NUPR1 » présent dans les cellules cancéreuses afin de faire disparaître la tumeur.

« En travaillant main dans la main avec nos collègues Italiens, Espagnols et Chinois, souligne le Dr Juan Iovanna, nous avons découvert une molécule qui neutralise ce gène terrible dans dix cas sur dix. C’est une avancée considérable… »

Les 60 chercheurs du laboratoire sont parvenus en effet à cerner sur des souris les mécanismes de défense déploie par les cellules cancéreuses pour mieux les débusquer et les cibler chimiquement. L’ennui, c’est qu’il a fallu rendre opérationnelle cette technique d’inactivation des cellules malignes sur l’homme. S’ils y ont finalement réussi, c’est parce qu’ils ont tablé sur une stratégie d’attaque multidisciplinaire combinant la biophysique, la biochimie, la bio-informatique, la chimie et la biologie afin de déterminer avec précision le meilleur médicament possible pour tuer dans l’œuf le terrible « NUPR1.

Le « ZZW-115 » : une sacrée trouvaille

Le Dr Iovanna et ses collègues ont d’abord jeté leur dévolu sur un produit utilisé d’ordinaire dans le traitement de la schizophrénie (une maladie mentale) mais les effets secondaires sévères sur le système nerveux central les ont dissuadés de continuer. Ils se sont patiemment mis en quête de dérivés de ce médicament permettant d’augmenter sa vigueur anti-cancéreuse en évitant les effets secondaires nocifs. Et là, miracle, ils ont mis au point le « ZZW-115 », nom d’un agent secret anti-cancer qui dézingue tout ce qu’il touche sans affecter les cellules saines de l’organisme.

Mine de rien, c’est une découverte historique qui fait honneur à Marseille et à son laboratoire de recherches. Elle devrait permettre à l’avenir de s’attaquer plus précisément aux cellules tumorales et de les neutraliser. Mais il ne faut pas se réjouir trop vite car il y a en France 50 millions d’euros de différence entre la découverte de la molécule adéquate et la fabrication en série du médicament.

Trois brevets ont d’ores et déjà été déposés auprès des autorités de santé publique pour protéger cette découverte marseillaise. Les tests cliniques de ce nouveau médicament ne seront achevés que vers 2030 à l’issue d’un long processus incluant la phase 1, la phase 2 et la phase 3.

Pour accélérer ce processus de validation lié aux exigences de l’agence nationale du médicament, une start-up marseillaise a été créée : « PanCa Therapeutics » qui testera ce médicament sur une cohorte de patients locaux volontaires.

Oui, Dr. Iovanna, grâce à votre abnégation et à votre lutte incessante, une petite lueur d’espoir brille au bout du tunnel pancréatique. On croise les doigts : 14 000 vies sont en jeu chaque année en France et…400 000 dans le monde !

José D’Arrigo

Rédacteur en Chef du Méridional.   

Notre Photo : le Dr Juan Iovanna, nouveau pionnier de la lutte anti-cancer. (Photo José D’Arrigo pour Le Méridional)