Martine Vassal – Bruno Gilles La double mort du Gaudinisme

Non, les Républicains ne pouvaient pas gagner cette élection municipale. Pour une raison très simple : ils étaient marqués par les stigmates de la division et l’infamie de la rue d’Aubagne, même s’ils n’en étaient pas directement responsables.

Le fameux « ticket » Gaudin-Muselier a bien fonctionné jusqu’en 2014, date à laquelle Jean-Noël Guérini n’a été battu que sur le fil grâce à un changement radical de slogan de campagne entre les deux tours de scrutin : « j’aime Marseille, je vote Gaudin ».

Cette fois, les Républicains se sont désunis d’emblée en se livrant à une pitoyable guerre des egos. Ils ont offert à l’opinion un « ticket inversé » selon les secteurs : Vassal-Gilles, Gilles-Vassal. Dans les huit secteurs de Marseille, les électeurs de droite ont été invités, à leur corps défendant, au spectacle désolant des escarmouches, des petites phrases assassines, des suspicions de fraudes sur les procurations et des procès d’intention entre les deux « bébés Gaudin » : Martine Vassal et Bruno Gilles.

Malgré les objurgations de Renaud Muselier, les deux prétendants au trône ont vite oublié que leur division ne pouvait qu’être néfaste, voire suicidaire, pour leur camp. Certes, tous deux ont eu le courage de se ressaisir et de revenir à de meilleurs sentiments : Vassal en s’effaçant in extremis au profit de Guy Teissier après son échec dans le 6/8, et Bruno Gilles en donnant ses deux voix à son ex-parti. Mais c’était bien trop tard pour réparer les pots cassés. Ils étaient devenus inaudibles.

Aucun dauphin à sa taille

Juché sur son piédestal, les mains croisés sur son embonpoint, Gaudin le rassembleur de chrysanthèmes a dû jubiler en douce et ricaner sous cape en voyant ses héritiers putatifs s’étriper à qui mieux mieux. Son vœu ultime s’ancrait ainsi dans la légende : rendre les clefs à la Gauche, aucun dauphin n’étant jugé à sa taille, comme Defferre en son temps…

L’histoire retiendra sans doute que Gaudin n’est qu’une créature de Gaston Defferre, effaré de l’ambition dévorante de Charles-Emile Loo et de son ascension en qualité de trésorier national du PS, et qui décida d’y mettre brutalement un terme aux législatives de 1978 à Marseille…en faisant voter les gros bataillons socialistes en faveur du jeune et primesautier Gaudin, incarnation d’une droite centriste jugée inoffensive.

De même, Guy Teissier l’a bien compris, Gaudin n’a pas fait tout ce qu’il pouvait faire pour conserver Marseille dans son camp politique. Il a divisé sa propre famille, puis il a assisté au désastre comme à un match de l’OM. En se frottant les mains et en comptant les points. Le jeu politique ressemble ici à un exercice de tuerie sur fond de mots doux et d’étreintes amicales. Gaudin m’avait confié un jour, alors qu’il briguait la présidence du Sénat :

« Vous savez, au Sénat aussi, on tue en douce ses adversaires, mais les moquettes du palais du Luxembourg sont si épaisses que les cadavres ne font jamais de bruit en tombant sur le sol… »

Non, décidément, la Droite ne méritait pas de gagner cette élection. Lorsque les médias socialistes se félicitent de la défaite de Stéphane Ravier (RN) dans le 13/14 et de la victoire au forceps de David Galtier (LR) au second tour, ils feignent d’ignorer que ce résultat inespéré n’a été rendu possible que par la défection volontaire de la Gauche au second tour, ce qui revient à reconnaître que le score final de Martine Vassal est aussi lié au bon vouloir de ses adversaires, et donc, sans grande signification.

Dans l’autre sens, Samia Ghali, elle aussi en panne de mémoire, fait semblant d’oublier que si Martine Vassal n’avait pas retiré de la course au second tour son candidat Moussa Maaskri (14 % des voix), elle aurait été battue à plate-couture par le Printemps marseillais de Coppola et jetée aux orties. Elue avec 5025 voix sur 47 912 inscrits, Ghali n’a recueilli « que » 10,48 % des inscrits mais elle a su faire payer très cher son petit pécule à ses nouveaux amis. Croyez-vous que ce résultat étique, squelettique, justifiait ses prétentions exorbitantes qui semblent davantage relever du caïdat politique que de la légitimité républicaine ?

Conciliabules interminables, chantage, pression, Mme Ghali aura maintenu le suspense de sa double allégeance possible jusqu’au bout du bout. Finalement, Mme Rubirola a cédé. Elle lui a tout donné pour bénéficier d’une majorité absolue de 51 voix au sein du conseil municipal : elle lui a confié un poste de deuxième adjointe, Payan étant inamovible à ses côtés, et trois autres adjoints choisis parmi les huit élus de sa liste : Roland Cazzola (11eme adjoint), Marguerite Pasquini (22eme adjointe) et Sébastien Jibrayel, le fils de son père (29 eme adjoint).

La mairesse et la traitresse

Dans l’autre camp (supposé), Mme Ghali a une sœur qui lui ressemble comme deux gouttes d’eau : il s’agit de Lisette Narducci, la dame de tous les bons partis, mais surtout du sien. Voilà une élève de Guérini, qui soudain devient gaudiniste, puis qui fait campagne aux côtés du gaulliste Bruno Gilles parce qu’elle se sait barrée par Solange Biaggi dans le 2/3 et qu’elle n’a pas d’autre issue pour exister dans ce secteur. Elle réussit à battre sa rivale d’une poignée de voix au premier tour mais doit s’incliner au second tour, ce qui la condamne à être une simple conseillère municipale, poste qui ne satisfait pas ses ambitions.

Alors, elle va crier famine chez Rubirola sa voisine dans l’espoir de décrocher une prébende contre son allégeance et son vote. Et, bingo, elle décroche un poste de 26eme adjointe qui sanctionne sa piteuse félonie. Toutefois, la nouvelle mairesse de Marseille devrait se méfier des convictions versatiles de Lisette qui a été guériniste, socialiste, radicale, gaudiniste, gilliste et nouvellement rubiroliste…et se souvenir de l’avertissement de Stéphane Ravier : « nous préférons laisser entre eux les magouilleurs et les marchands de tapis ».

Cette élection marquera aussi l’échec d’une toujours possible union des droites tant espérée par les patriotes depuis des lustres :celle qu’avait réalisée de concert Jean-Claude Gaudin et Ronald Perdomo (FN) avait permis de conquérir le conseil régional en 1986 mais l’expérience n’a pas eu de suite. La double mort du gaudinisme, elle est là, aussi. Teissier et Stéphane Ravier n’ont pas réussi à s’entendre, au grand dam de leurs électeurs respectifs, ce qui remet cette entente hypothétique aux calendes grecques.

Que restera-t-il de cette échauffourée électorale empuantie par des suspicions tous azimuts de fraudes aux procurations et de bourrages d’urnes, y compris dans le secteur de Mme Ghali, ce qui pourrait conduire à une annulation du scrutin dans le 15/16, puisque seulement 386 voix séparent la nouvelle deuxième adjointe de Jean-Marc Coppola…Rien ou presque.

 Un parfum de désolation et de frustration. Comme toujours après les brusques montées de température qui rythment la vie de Marseille. Dans le secret de son cabinet, la nouvelle mairesse va devoir arbitrer entre des ambitions contradictoires dans un contexte budgétaire drastique avec l’obligation absolue pour l’ancienne hippie du Larzac et la talentueuse chanteuse de Gospel de trouver le bon tempo entre les diverses intonations de son patchwork ingouvernable.

Rubirola est bien là, mais elle devra trouver le « la ». Entre des partis qui se détestent (Verts, PS, PC), elle devra faire prendre la mayonnaise avec autant de brio qu’elle a réussi à le faire durant la campagne, c’est-à-dire en empaquetant le tout dans un concept marketing affriolant (le printemps) pour mieux masquer la flétrissure d’étiquettes vérolées. Puis, elle devra remettre à leur place ses alliées de circonstance qui marchandent le destin de la ville comme des brocanteurs du marché aux Puces. Elle aura largement le temps de se rendre compte, elle, la « technicienne de l’humain », qu’elle est entourée de techniciennes de surface politique…

Ce n’est pas Vassal, c’est elle, Rubirola, qui devra incarner « une volonté pour Marseille ». Elle semble pleine de bonne volonté, mais il n’est pas interdit de penser qu’elle finira, elle aussi, tôt ou tard, dans les bégonias. Parce que c’est ça Marseille.

José D’Arrigo

Rédacteur en Chef du Méridional