Il y a 30 ans, Gabriel Domenech nous quittait Portrait d’un journaliste de combat, à la plume tendre et féroce

La place qu’occupe Gabriel Domenech dans la presse marseillaise est plus que considérable : elle est unique. Très tôt, au lendemain de la Libération, par des enquêtes retentissantes sur le comportement des communistes pendant la guerre, et sur les crimes de l’épuration, il rompait avec l’omerta en vogue à l’époque. Et jamais il ne dévia de cette ligne : asséner des  vérités, sans complaisance. Journaliste de combat, tranchant avec la passivité béate de la plupart des confrères, il avait embrassé le métier avec passion. Il fut de la première équipe du Méridional, titre issu de la Résistance, fondé (rue de l’Abbaye) en septembre 1944 par des démocrates-chrétiens.  

Au fil des années et des reportages il peaufina un talent de plume qui, joint à un sens très sûr de l’événement, marqua le journalisme régional. Et même au-delà, certains de ses articles, en dissonance totale avec le politiquement correct, étaient déjà très commentés à Paris.  Point de fioritures ! Domenech ne faisait pas dans la dentelle ! D’une formule finement ciselée, il défrisait les petits marquis de la bien-pensance en leur opposant le bon sens populaire, la sensibilité du terrain, la fraternité du bistrot.

C’est d’ailleurs à la faveur d’un reportage qu’il fit sa première incursion dans la vie politique : alors qu’il sillonnait les Basses-Alpes dans le cadre d’une enquête sur l’affaire Dominici, en aout 1952, il prit goût à rencontrer les paysans et les « braves gens » de Lurs, de Forcalquier et des environs. D’autant que son livre Toute l’affaire Dominici, écrit d’une plume alerte et teintée d’humour, obtint un franc succès. Là-bas, chez les « Gavots » comme on disait,  il sut disséquer la psychologie du patriarche madré de la Grand’Terre. Parlant le provençal, il en comprenait toutes les nuances et subtilités.

Conseiller général et député 

Le journaliste fidélisa tant de lecteurs potentiels que ceux-ci, appréciant l’homme,  ne tardèrent pas, à la faveur d’une élection cantonale à Peyruis, de l’élire brillamment en 1958, porté par la vague gaulliste. Et d’en faire leur député, quelques mois plus tard, dégommant l’ancien ministre socialiste Edmond Naegelen dans la circonscription de Forcalquier. A l’Assemblée, Domenech siégea dans les rangs des Républicains populaires et Centre démocratique. En 1962, la dissolution de cette assemblée lui fut fatale. Prônant l’Algérie française, il  fut cette fois battu par le socialiste Claude Delorme, avocat maire de Forcalquier, président du conseil général. Il est vrai qu’entre-temps, Domenech, fidèle à ses convictions, s’était éloigné de la politique du général de Gaulle. 

Redevenu journaliste, il publia Comment devenir député suivi de La Provence buissonnière où le talent du conteur, fin connaisseur du pays, éclate à chaque page. Car cet homme parlait admirablement des autres. Si parfois, dans tel reportage, tel livre, l’humour véhiculé par des mots est irrésistible, Domenech allait plus loin que la dérision : il touchait aux fibres et rappelait alors plus Giono ou Armand Lunel que Chamfort ou Léon Daudet. En donnant à voir sans vaticinations ni rhétorique, il frappait au coin du bon sens. En 1971, le Méridional traversant une période économiquement difficile, il lui incomba de prendre la direction du journal, fonction assumée pendant quinze ans. Avec le souci constant de maintenir dans le Sud-Est l’indépendance du seul journal qui ne fut pas de gauche. 

L’amour du terroir

Ecrivain d’instinct, il avait cette perception rapide du sentiment diffus d’un individu ou d’un peuple à travers un événement. Il avait le don de communiquer son amour du terroir, le vrai pays profond. « Le seul guide doit être ta curiosité et c’est l’amour des hommes qui servira de clé à l’heure des secrets », me dit-il un jour où il me parlait de ses balades, au volant de sa voiture appelée Gobe-le-Vent, entre Chantemerle-les-Grignan et Saint-Ferréol Trente Pas. Et cet amour du terroir l’amena naturellement à écrire : Paris, ça suffit !,  un pamphlet dénonçant les abus du centralisme et la prétention de la ville-capitale à tout régenter. Epris de liberté, il sortira en 1981 le livre le moins conformiste de cette année-là : Eloge de l’ivresse. Mais qu’on ne s’y trompe pas : ce n’était pas l’alcool lui-même qui intéressait l’auteur, son brûlot était le cri de révolte d’un citoyen refusant de voir sacrifier chaque jour, à petite dose, les droits de la personne humaine. Plus qu’à célébrer l’ivresse qui réjouit les sens, c’est à celle qui exalte l’amour de la liberté que cet éloge est consacré.

De gauche à droite René Merle, ancien président du
Directoire du Méridional, Gabriel Domenech et Jean-Claude Gaudin en 1978. (Photo Claude NUCERA)

Lanceur d’alertes

Dans son « Entre Nous », billet quotidien qui traitait d’un sujet particulier, il ne ménageait personne, ce qui lui valut les inimitiés des gens du pouvoir, fussent-ils de ses amis. Attaqué en justice, vilipendé, mais ne cédant jamais à ses détracteurs, ce fils d’immigrés catalans défendait les étrangers respectueux des lois de la République. Il n’a jamais confondu les immigrés honnêtes, travailleurs et bons pères de familles, avec ceux qui commettaient des délits. Pourtant, il passait dans l’opinion des intellectuels et leurs épigones journalistiques comme un abominable raciste voire un facho. Qu’importe ! Il avait l’approbation des « gens d’en bas », du petit peuple qui lui témoignait (par d’innombrables lettres) de leur soutien. 

Trente ans après sa disparition, Gabriel Domenech demeure un proscrit de l’intelligtensia, relégué non au purgatoire mais dans les cercles de l’enfer. Ses livres (dont un prix Scarron pour La Provence buissonnière) sont ignorés par la gent littéraire. Sa détestation est telle qu’aucune rue de Marseille, comme il en avait été un moment question, ne portera son nom. Ce n’est pas faire son apologie que de le souligner : ce lanceur d’alertes avait perçu, parmi les tout premiers, et dès 1970, la gravité des sujets inhérents à l’immigration incontrôlée, à l’insécurité, à la paupérisation des grands ensembles, aux trafics de drogue, au délitement industriel de Marseille, et à l’effondrement des valeurs provençales. Qui peut nier aujourd’hui l’acuité de ces problèmes érigés en phénomènes de société ? 

Alors, avec le sentiment de prêcher dans le désert, un peu las et sentant venir la retraite, dès qu’il l’a prise, Gabriel Domenech rejoignit Jean-Marie Le Pen qu’il connut en 1958 sur les bancs de l’Assemblée nationale. Ainsi se retrouva t-il, la même année, député des Bouches-du-Rhône et élu au conseil régional PACA. Battu de justesse en 1988, il devint président de la Fédération FN des Bouches-du-Rhône. Il se présenta aux municipales l’année suivante, un peu à la dernière minute, ayant envisagé de concourir sur son propre nom.  Il sera battu, ce qui ne l’étonna pas, mais fit son entrée au conseil municipal de Marseille où son siège fut occupé par M. Berbérian, tandis que M. Savon le remplaçait comme conseiller régional.

Malade du cœur, Gabriel Domenech nous quittait le 13 mai 1990, à l’âge de 69 ans. 

Tel est, brossé à larges traits, le portrait de ce personnage assez singulier dans son genre, au don d’écriture remarquable, excessif parfois dans l’affirmation de ses convictions mais qui eût mérité un peu plus de respect de ses adversaires oublieux de la fameuse phrase de Voltaire : « Je ne suis pas d’accord avec ce que vous dites, mais je me battrai jusqu’à la mort pour que vous ayez le droit de le dire”.

Gabriel CHAKRA

Photo : Gabriel Domenech au cours d’un débat sur les
municipales à Marseille (Photo Claude NUCERA)